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« Appelez-moi Astrid. » [Ludgar, Astrid]

Ludgar FitzEleanor
« Appelez-moi Astrid. » [Ludgar, Astrid] Mar 26 Avr - 17:31

Prenez un bateau et voyagez autour de l’Alqara — toutes les cités sont rapidement identiques, surtout pour les gens comme moi. Partout y a toujours les mêmes rades et les mêmes alcools, et toujours je termine avec le même œil vitreux alors que je regarde au fond de mon verre. Tout ce qui change, c’est jamais plus que la température, le bruit, et le nombre de crevards comme moi vissés aux chaises.

Cité-Corail est pas clémente aujourd’hui — la tortue s’est installée en haute-mer. Sa grande taille la garde du maelstrom et on ne ressent pas la houle, mais l’artefact ne protège pas de la tempête ; il pleut partout, et il vente fort, assez pour forcer les corps à s’emmitoufler dans des grosses capes et des pardessus qui virevoltent sous la brise. Ça donne raison au dicton, c’est sûr : En Abril, ne te découvre pas d’un fil. Ma grosse peau de loup est bien rentable, même si ce qui me donne réellement chaud, c’est le rhum arrangé que la serveuse vient de me filer sous le museau. Je lève le verre, la salue et bois le bon mélange d’alcool et de vanille ; c’est bon, mais ça brûle la langue et me force à verser une petite larme. Je serais moins ému si seulement j’avais mangé.

Il n’y a pas une seule cité parmi les six qui me déprime plus que Corail. C’est bien la seule où je n’aime pas du tout passer du temps. Je peux pas dire ce genre de chose à voix haute, sous peine de voir les yeux de mes camarades de beuverie devenir gros comme des soucoupes ; Comment ? Ludgar qui a grandi au beau milieu d’un bidonville puant ose être déprimé quand il est sur la tortue toute propre, avec ses habitants tous souriants et en pleine santé ? C’est comme ça, toute cette ville me file des boutons. Les gens ici sont bigots, arriérés, ils attendent tout des autres et trouvent honteux de se révolter. L’hypocrisie est pourtant une merveilleuse vertu civilisationnelle ; c’est ce qui permet à tous les crétins qui m’entourent de penser qu’ils valent mieux que moi, alors qu’en vrai, caché au fond de leur âme, y a une petite étincelle qui leur donne envie de baiser avec quelqu’un du même sexe, ou tromper leur époux que papa-maman leur a forcé de rencontrer quand ils ont eu l’âge d’aller enfin boire de l’alcool. Ils ont peut-être pas tort, parce qu’il est vrai qu’ici les gens sont mieux habillés et se portent mieux que les fadariniers de Misty, mais enfin, j’ai horreur de converser avec les locaux. Pour ça que je suis déjà à moitié torché à sept heures du soir, encore que j’ai pas besoin d’une raison, mais là j’en ai une et je vous emmerde.

L’Alcyonien mouille à Corail depuis hier. Une idée du capitaine, miss Astrid Eide. Elle s’est arrangée pour qu’on vende un peu de merde qui traînait dans la cale et qui pouvait intéresser des locaux : Du grain, de la laine, un peu de minerais. Rien d’incroyable, rien d’exclusif, elle en a juste obtenu un peu de pécule qui va partir en gages pour l’équipage et en combustible pour le moteur ; on va pas se mentir, les semaines passent et le navire a du mal à faire de la marge — et les grosses dépenses d’entretien comme le carénage sont pas encore arrivées. C’est que c’est un sacré investissement, un bateau, tout le monde a pas les épaules pour. N’importe qui à la place de la jeune fille, il aurait probablement vendu le navire à un armateur, se serait acheté un lopin de terre à Misty avant de vivoter quelques années en faisant quelque chose dessus. Ou alors il se serait converti à la piraterie, au moins quelques années.
Mais Astrid ne veut pas se mettre à la course. Pour quelles raisons ? Peur de l’accrochage ? De la loi ? Ou parce qu’elle pense que c’est mal ? J’en ai rien à branler, je juge pas, parce que tant qu’elle trouve le pognon pour me rémunérer, elle peut bien faire n’importe quoi avec le navire que c’est pas mon problème.
Là, elle a eu une autre idée. La chasse. Pas la pêche, la chasse. La baleine. Les grosses bêtes immenses de la mer, celles capables de se défendre. Je crois que son ex-capitaine a été baleinier avant, il a jamais été pirate en tout cas, ce qui à mes yeux est quand même la preuve qu’il était ni très courageux ni très entreprenant, mais chut. Moi je me dis, pourquoi pas ; une baleine y a tellement de trucs à dépecer dessus, entre la viande, l’huile, les os et l’ambre — y doit y avoir de quoi remplir la cale, et après ça se vendra facilement n’importe où dans le monde. Y aura pas de quoi devenir les rois du monde, mais suffisamment pour être moins précaires.

Mais c’est facile à dire, qu’on va aller chasser une baleine. À faire, c’est déjà autre chose. Me demandez pas les détails — j’y connais foutre rien. Elle m’a expliqué qu’il faudrait du matériel, parler avec les Merriens pour avoir des infos sur comment se porte la mer, et, surtout, essayer d’engager un ou deux locaux pour nous prêter main forte, parce que les Merriens sont excellents sur mer.

C’est pour ça que votre serviteur est en train de passer une soirée horrible.


Actuellement, on est à l’extérieur de la tortue, dans un débit de boissons qui fait un peu restaurant, même s’il y a pas vraiment de table ; les gens mangent juchés sur les comptoirs ou des bouts de plans de travail. Y a pas de mur pour me protéger du souffle du vent là où je suis, mais un bout de toit sous lequel l’eau ruisselle en immenses cordes, si bien que ça provoque un mini-ruisseau qui coule le long de la carapace métallique de la tortue géante. Depuis une demi-heure maintenant, j’attends quelqu’un, assez nerveusement. Je bois verre sur verre, et quand je bois pas, je clope — être dehors me permet de fumer sans risque d’être engueulé par quelqu’un emmerdé par la fumée que je crache à sa gueule. Ça parle fort et ça rit à côté de moi ; y a des Merriens qui ont terminé leur journée de boulot, et qui adorent se faire remarquer, vu qu’ils sont chez eux. Je mate comme une vieille commère, parce qu’il y a une nana un peu jolie dans le groupe : un beau cul que je peux zieuter parce qu’elle me tourne le dos, j’avoue que c’est plus passionnant que mater l’alcool.

Alors que je me rince les yeux, j’entends pas le type venir derrière moi. Je l’entends jamais venir, en fait, maintenant que j’y pense, et c’est vrai que c’est un détail qui fait flipper — vous en connaissez beaucoup des gens qui font strictement aucun bruit en marchant ?
Il arrive dans mon dos, et me fait mal en appuyant sur mes reins avec deux doigts. Et il parle à voix haute dans mon oreille :

« Pan, t’es mort. »

Ce sale fils de pute m’a fait sursauter. J’ai le cœur qui est passé d’un petit cent (C’est vous dire à quel point je suis en bonne santé) à cent-cinquante. Je me retourne soudainement, en manquant de décrocher un pain dans sa gueule, avant qu’un peu de logique et de calme engourdis par l’éthanol ne tranquillisent mon crâne ;
Ce type-là je le connais. En plus c’est moi qui l’aie invité. Et le voilà qui fait un pas en arrière, en levant les mains aux paumes ouvertes au niveau de ses épaules, et en rigolant comme pas possible, ce qui me permet de bien voir ses chicots dégueulasses à cause du tabac et de sentir son odeur d’eau de toilette qui me pique le nez.


Spoiler:


« Héhéhé ! Détends-toi, mon grand !
Heureux de te revoir, adjudant ! »


Je vous présente le sergent-major Russell Pelham. Bientôt la cinquantaine, ex-militaire du Héron Bleu, enfant bien né de Misty Harbor. Il a quitté le service actif un peu avant moi, la faute à une blessure à la jambe gauche qui explique pourquoi il boitille un peu — mais il n’a pas de canne, donc ça doit aller mieux qu’avant.
Il n’est pas rentré dans le pays de la Sirène, il a de la chance que la belle l’ait pas appelée au Concile depuis le temps ; le type s’est installé à Cité-Corail. Il a ouvert un petit commerce, qui sert d’importateur et de vendeur au détail de divers produits qui viennent pas de la tortue — ça lui permet de rencontrer du monde, et d’avoir un boulot. En plus, il a une formation de chirurgien de guerre, donc il s’est naturellement reconverti en boucher et il propose de la charcuterie et des tripes qu’il prépare lui-même dans son épicerie pleine de produits divers.
Moins officiellement, il aide aussi des émigrés de toutes les cités à se repérer un peu à Corail. Il propose du boulot. Il loue quelques chambres pour les gens de passage. Il fait se rencontrer des gens. Un type tout à fait respectable, apprécié des habitants de son voisinage — dans le relatif amour que peuvent porter les locaux à des Harboriens, bien sûr.

Comment je sais tout ça, sur ce type ?
Parce qu’il y a cinq ans, je lui ai sauvé la vie. Tout simplement. La guerre, ça fait des liens que rien ne peut jamais briser. On est frères, par le sang versé et par le sang qu’on a versé. La belle époque où on pillait, on saccageait, et on tuait pour de l’argent. La fabuleuse aventure de garçons d’une compagnie d’aventure de Misty.

Le major Pelham m’en doit une. Alors, il va aider le capitaine Eide. Il m’écrit une lettre une fois par an, c’est la première fois que je lui ai répondu. J’avoue que c’est pas classe. Mais je suis pas quelqu’un de classe, de base.

Pour l’heure, je lève la main, il attrape la mienne, et on se fait une franche accolade bien virile. Parce que vous comprenez, les grands garçons même quand ça se câline, ça se sent obligé de rajouter des coups dans le dos pour se faire mal.

« Major ; Je vois que vous avez pas pris de bide, c’est bien, vous vous entretenez.
– Rah, ferme ta gueule ; Et tutoie-moi, s’il te plaît ! On est plus sous le Héron !
Bon, elle est où la fille que je dois rencontrer ?

– Le capitaine. Elle n’est pas loin. »

Il me fait un grand sourire narquois qui donne envie de lui donner un pain dans sa gueule. Mais c’est important de mettre les points sur les i. Il commence à parler avec condescendance avec mon officier supérieur, on est pas sortis de l’auberge. Russell Pelham est, comme moi, un vieux con ; sauf que lui est encore plus vieux que moi. J’aime autant pas qu’il insulte Eide juste devant elle en l’appelant « miss », « mademoiselle », ou même « jeune fille ».
C’est pourtant des fois ce qu’on hésite à faire. Peu de gens sont capitaines à vingt-cinq ans. Surtout qu’elle n’a pas eu une brillante carrière de commodore, le vieux Warren lui a juste filé son rafiot parce qu’il couchait avec elle. Du moins, c’est ce que j’ai cru deviner. Pour quelle autre raison un vioc filerait un bateau à quelqu’un ?

« Bah, présente-nous alors ! Je vais essayer de voir ce que je peux faire pour vous ! »

Je hoche de la tête, me tourne, et attrape mon verre de rhum pas encore fini. Puis je vais tout droit, en plein dans le groupe de Merriens qui parlent fort avec la pépette qui a un beau cul. Je ne résiste pas à l’envie de tracer directement à travers eux, ce qui fait que je pousse vivement un des types avec mon épaule. Il se tourne, fronce des sourcils, mais je lui rends son regard avec une bonne tête de taré sans dire pardon, alors il se permet de dire à voix haute :

« Connard. »

Je me prépare à lui faire face. Mais Russell, avec un grand sourire, met une main sur mon omoplate et m’encourage à continuer mon chemin. Il est obligé de siffler entre ses dents pour garder son impeccable sourire.

« Raaah, fait pas le sauvage, putain. On est pas à Misty, et la flemme d’aller te chercher au poste… »

Je lève les yeux au ciel. Mais je fais aucune réflexion et continue juste mon chemin.


On trouve Astrid, qui est parvenue à se sécuriser un coin où bouffer dans ce rade trop étroit. Un tonneau, sur lequel un serveur a posé un plat d’acras de morue et des tranchettes de saumon fumé. Elle était en train de poliment béqueter le tout en pressant son citron sur la poiscaille, lorsqu’elle nous voit débarquer.
Elle se relève, mais le major, en bon gentleman, l’arrête en levant la main et en accélérant :

« Aaah, non, ne te gêne pas !
Enchanté — Appelle-moi Russell, et surtout, on se tutoie, j’ai pas quitté l’uniforme pour faire comme si j’étais toujours major !
Bienvenue à Cité-Corail, du coup — je vois que tu manges déjà local ; c’est délicieux, pas vrai ? Je te conseille leur raie, c’est moins connu que le reste mais ici ils en cuisinent du très très bon. »


Pelham regarde à gauche et à droite, puis il trouve un tabouret qu’il peut chourer pour poser son cul. Moi, je vais aux côtés d’Astrid, et me colle au mur, toujours debout. J’ai passé trop de temps assis, je vais avoir des fourmis au derche si je continue.

Et voilà que Pelham enchaîne sur son numéro de charme. Il a toujours été pas mal charismatique, comme type. Il parle bien, à l’aise avec tout le monde, sympathique à vivre. Ça m’étonne pas qu’il ait creusé son trou dans cette ville.

Bien sûr, ce que Astrid ne sait pas, c’est que moi, j’ai vu son vrai visage, à Pelham. Et qu’il y a une raison pour laquelle j’ai jamais répondu à ses lettres, une raison différente du fait que je sois un gros con. Mais ça j’en parle pas. Inutile de gâcher les affaires. Astrid avait besoin d’un type qui peut l’aider à bien préparer sa chasse, je le lui ai ramené un.

« Bon, allons-y, capitaine », il fait en me lançant un petit regard, ce à quoi je lui réponds en le foudroyant d’un bel œil bien noir. « Ludgar m’a pas trop-trop parlé de tout, c’est que c’est un garçon discret ! Mais une amie de Ludgar est une amie à moi, alors, si je peux vous aider, vous avez juste à me demander ! »
Ludgar FitzEleanor
Messages : 22
Astrid Eide
Re: « Appelez-moi Astrid. » [Ludgar, Astrid] Sam 30 Avr - 23:39

Je suis arrivé assez tôt, histoire d'avoir le temps de boire un coup, de manger et surtout de m'imprégner des lieux. J'ai mal dormi pour changer, je suis fatigué, si bien que la conversation qui m'attend me semble difficile, alors qu'en théorie, ça ne devrait pas l'être, surtout que grâce à Ludgar, je n'ai pas eu besoin de chercher à qui m'adresser en premier lieu.

Je retiens un bâillement, j'observe une femme, plutôt jolie, entouré d'hommes, je peux presque sentir leur testostérone d'ici, avec mon nez. Mais ce que je sens surtout le vent froid. Je remonte ma capuche et resserre mon châle autour de mon cou au moment ou Ludgar s'approche de moi, suivi de toute évidence, de la personne que j'attends.

Ca me fait tiquer un peu le tutoiement, juste un frisson entre les omoplates. Ça n'a rien à voir avec le fait de péter plus haut que mon cul parce que j'ai hérité d'un navire. C'est juste que j'ai remarqué plus d'une fois que le tutoiement en place, le respect avait tendance à diminuer, pas toujours, mais...Pas loin. J'ai bien retenu ça, c'était surtout flagrant là où je bossais avant, mon ancienne vie. Je suis un peu jeune pour penser ça mais j'ai vraiment ce sentiment. La nouvelle Astrid n'a plus grand chose à voir avec l'ancienne.

Bref, je repose mes fesses bien sagement, croise les jambes, mais pas les bras, histoire de pas avoir l'air fermé à la conversation ou que mon vis à vis se rende compte que je suis pas à l'aise. Ca aussi j'ai appris qu'il valait mieux l'éviter. Mais je ne peux pas m'empêcher de couler un bref regard vers Ludgar. C'est être humain, mais parfois j'ai tendance à le voir comme un bouclier, un grand bouclier pas très propre. Je sais aussi qu'il faut pas trop que je m'habitue à me reposer sur lui, parce que rien ne dure, ça aussi, je l'ai appris très tôt. Ca en fait des leçons de vie…

Russell donc, ancien soldat, je l'ai vu à sa démarche, un peu instable, à peine, sûrement une ancienne blessure. Du genre qu'on oublie, mais qui est toujours là, surtout quand le temps est pluvieux, justement. Je me touche la cuisse, machinalement, là où se trouve la large brûlure sous le cuir. Je souris franchement, ça fait remonter mes petites fossettes.

- Capitaine Eide, appelez..Appelle-moi Astrid.

J'ai du mal à tutoyer cet inconnu qui pourrait être mon père, je me demande s'il cogne ses gosses quand il a passé une journée de merde, comme le faisait parfois le mien ? C'est bien le moment…Je rappelle mon “statut” aussi, histoire de dire. Je sais pas trop si c'est utile ou pas de le faire, je ne le connais pas justement, dans le doute…
Je hoche la tête en regardant mon assiette, je suis presque triste qu'il soit à l'heure, j'aurai bien voulu finir avant qu'ils me rejoignent.

- Effectivement, c'est très bon.


Je fais un petit clin d'œil à Russell.

- Merci du conseil. Je goûterai çà, je te dirai !

J'ai une blague avec le mot raie en tête, mais je ne suis pas quelqu'un de particulièrement drôle et j'exprime rarement à haute voix les drôleries qui me viennent en tête. Du coup, je ne sais même pas si j'ai de l'humour, finalement…Lui me trouvait marrante en tout cas, on plaisantait souvent le soir, allongé, collé l'un contre l'autre. Putain c'est pas le moment, c'est pas du tout le sujet. Je jette un nouveau regard en coin à mon acolyte, si bien que je perçois le changement d'expression, il est pas content, pas à l'aise, ou autre, mais y a un petit truc. On n'est pas assez proche pour que je puisse dire quoi exactement, mais je lui réponds ce qui me semble le mieux, après un bref ricanement.

- Discret ? C'est relatif. Prudent, c'est certain.

Je me demande où et comment ils se sont rencontrés, mais ça me regarde pas et c'est pas le moment, je poserai la question à Ludgar plus tard.

- Je voudrais changer un peu nos habitudes.

Il a pas à savoir pourquoi, en l'occurrence que j'ai vraiment besoin de gagner plus si je veux continuer à payer mes hommes et à réparer ce qui doit l'être sur le navire. C'était le sien, je ne peux pas le laisser comme ça. Et puis je crois que ça fera du bien à tout le monde un peu de nouveauté, de défis.

- On va mettre la récolte en mer en pause, juste un temps, on va passer à la traque. En l'occurrence, la baleine géante. Pour ça, j'ai bien évidemment besoin de matériel adapté. Apparemment tu es celui à qui on doit s'adresser pour ça, histoire d'avoir de la qualité, sans entourloupe.

Je sais pas pourquoi je suis méfiante, je le suis toujours trop. Ce type à l'air tout ce qu'il y a de plus sympathique, alors je lui offre un deuxième sourire, en piochant un petit truc dans mon plat.

- En gros, on a besoin de harpons et d'huile pour traiter la viande.

Je m'y connais pas tant que ça, en chasse à la baleine, voir presque pas, j'ai assisté à ça qu'une fois sous les ordres de Warren, le “vrai” Capitaine. Jeme sens pas à ma place, j'ai l'impression d'être un imposteur, encore. Peut-être qu'un jour ça changera enfin…

- Ce n'est pas tout, mais je voudrais bien qu'on débute notre échange sur ça, si tu le veux bien, le besoin en matériel.

On ne s'improvise pas baleinier, j'ai besoin de contacts aussi, surtout ? D'échanger avec des professionnels, j'ai besoin de donner le sentiment à mes hommes que je sais exactement ce que je fais, que ce soit vrai ou pas, comme toujours, c'est le plus important.
Astrid Eide
Messages : 9
Ludgar FitzEleanor
Re: « Appelez-moi Astrid. » [Ludgar, Astrid] Dim 1 Mai - 11:29

Russell Pelham écoute attentivement tout ce que le capitaine lui dit, en opinant régulièrement du chef pour bien prouver qu’il ne s’est pas endormi. Et quand elle a terminé, le voilà qui s’affale un peu sur son tabouret pas bien stable, afin de replier une jambe au-dessus de l’autre.

« Ah bah pour chasser la baleine, ici c’est le bon endroit d’où partir — ils ont un atelier pour les dépecer et valoriser toute la bestiole. Si t’as pas de liquidités ils te taxeront une part pour leur boulot…
C’est la saison où la traque va commencer, donc ça va être bien occupé autour de la tortue, en plus.

– On est au courant. »

J’ignore si Pelham est attardé ou condescendant. Je pense au second plutôt qu’au premier, parce que je sais qu’il est beaucoup plus intelligent que ce qu’il veut bien montrer. En tout cas, que je lui rétorque sèchement qu’on s’est un peu renseignés avant de venir ne change rien à son petit sourire, et il se contente de faire un petit signe du menton, bien affable qu’il est.

« Toujours aussi agréable à vivre, le Ludgar !
Hé, moi aussi j’ai dû lui donner des ordres à une époque, alors un conseil de supérieur à supérieur : quand il est grognon comme ça, envoie-le monter la garde dans un coin, il raffole de ça ! »

Il ricane tout seul tout en attrapant un truc de l’assiette d’Astrid, et voilà qu’il boulotte une crevette juste sous son nez.

« Si t’as besoin d’une adresse pour acheter du matériel, j’en connais. Une très bonne amie à moi notamment qui vend des filets et des harpons ; elle aime pas trop les Harboriens mais elle m’apprécie, donc si tu dis que tu viens de ma part elle t’appliquera pas la, heu, la taxe touriste, si tu vois ce que je veux dire. »

Il entourloupe bien. Mais on est pas venus le voir pour qu’il fasse guide local. Ça, c’est bien comme ça qu’il doit se présenter officiellement, avec ses rictus et son tutoiement intempestif. C’est juste le vendeur de bibelots et de barbaque importés, c’est juste un type sympathique qui met en relation des Harboriens avec des locaux, un futur pilier de la communauté de Corail.
À Misty, un type comme lui, on appelle ça un facilitateur. On change pas un homme, et je refuse de croire que quelques années avec l’air marin et les Merriens comme voisins a suffi à faire de lui un commerçant honnête qui paye des impôts. J’ai une vision très noire de l’espèce humaine, certes, mais j’ai rarement tort.

« On avait quelque chose d’autre en tête. »

Pelham arrête de sourire quand je prends la parole. Il fait un signe de la main, histoire de dire silencieusement « Alors quoi ? »
Je me rapproche de la table, et me penche un peu dessus pour baisser d’un ton, et éviter les oreilles trop curieuses.

« On est à la recherche de vrai matos. Un harpon pneumatique, gros et solide — le genre de choses qui se vend pas comme ça au détail. On a déjà vu des navires Merriens en embarquer, on se demande si tu peux trouver où ils les achètent — ou à défaut, où on peut en obtenir. »

Ma phrase semble être un pléonasme : Acheter et obtenir, c’est pas pareil ?
Mais Pelham est pas stupide. Il a compris ce que je veux dire. Et du coup il sourit plus. Plus du tout. Il regarde Astrid tout droit avec un regard froid, inquisiteur — un regard de sergent-major d’une compagnie de mercenaire. Ou de chirurgien qui vous allonge sur une table.

« Je ne suis pas sûr d’apprécier le ton de ton subalterne, Astrid.
Est-ce que c’est pour ça que vous êtes venus me voir ? Parce que je viens de Misty, et toi aussi, je suis comme qui dirait… Un bon complice ? »


Il joue au con. Évidemment que cambrioler des trucs ça lui fait aucun état d’âme. Il est juste en train de tester Astrid. Voir si elle aussi peut jouer à la conne. Si elle comprend ce que c’est qu’une question incriminante. C’est important de savoir tourner sept fois la langue dans sa bouche, à Cité-Corail : on est dans le putain de repaire des délateurs.
Ludgar FitzEleanor
Messages : 22
Astrid Eide
Re: « Appelez-moi Astrid. » [Ludgar, Astrid] Mer 4 Mai - 22:57

Ça commence à ne pas me plaire. Ça n'a pas mis longtemps, mais c'est comme ça. Je ne me sens pas à l'aise déjà, je ne suis pas chez moi ici, je ne connais pas ce type, ça jacte autour et j'essaie d'être attentive, surtout à ce qui se passe entre eux. Les expressions, les intonations, la boutade pas tout à fait innocente, le vrai langage, le seul important.

Trois choses vraiment en cause je dirais, si j'essaie de démêler, ce qui n'est pas simple. Premièrement, ce qui ne veut pas cuire et c'est récurrent, c'est le manque de sommeil. Ça me rend assez irritable.

Ensuite, vient l'intervention de Ludgar, il a commencé à courir avant le coup de sifflet, si je puis dire. J'en étais encore à dire que je voulais aborder le besoin de matériel en premier, qu'il est déjà dans le détail de ce qu'il nous faut, presque au boulon près. Je ne crois pas à un souci d'égo qui le pousserait à montrer qu'il sait mieux, juste pour se mettre en avant, je ne le lis pas comme ça, mais je peux me tromper. Comme je ne crois pas non plus qu'il essaie de se montrer plus connaisseur que moi. Ludgar n'est pas idiot, ça n'a pas d' intérêt, ni pour lui, ni pour moi, ni pour la transaction à venir….Quoique…En fait, si et pas qu'un. Comme ne pas se faire rouler dans la farine déjà.

Bref, dernier problème, pas des moindres, le fait qu'on touche à ma nourriture. Une fois, j'ai planté ma fourchette de la main de mon grand frère à table, j'en avais marre de dormir le ventre vide, enfin, plus que d'habitude. Bref,c'est pas ça le fond du problème, non c'est toute la symbolique derrière ce geste anodin et ce que Russell bavasse à la fin.
D'ailleurs, j'ai posé un doigt sur le bord de l'assiette pour ramener ma pitance vers moi. J'ai accompagné le geste d'une petite grimace.

- Tatata, on n'est pas assez proche pour ça.

Pour être tout à fait honnête, je ne sais pas vraiment comment répondre, j'aimerais être en mesure de trouver la formulation parfaite, mais ce n'est pas le cas. Depuis que je suis Capitaine, ou en tout cas que je fais semblant de l'être, comme un gamin qui joue à la maitresse, j'essaie, dans la mesure du possible d'éviter les problèmes, donc les magouilles, mais parfois, elles me sifflent, surtout Ludgar en vrai et je cède….Facilement. C'est que j'ai des bouches à nourrir et un pont à faire lustrer, maintenant, je crache sur rien.
J'ai tourné la tête vers le bosco, cette fois je l'ai fixée longtemps, je l'ai détaillé pas très poliment, de la tête en bas, avant de me retourner vers Russell. Il n'appréciait pas…Moi non plus je n'appréciais pas, je l'aurai mangé cette crevette.

- Moi ce qui me dérange, c'est ce que tu insinues.

Ce que tu insinues qu'on insinue, mais c'est un détail.

- Qu'est-ce que tu viens nous parler de complicité ? Misty, Misty…C'est pas si simple, si réducteur que ça Russel, je sais que tu le sais mieux que moi. Nous sommes là, ensemble, à discuter de quoi ? De harpons !

Je fais semblant de trouver ça un peu drôle, je me demande si c'est crédible ou si j'ai seulement fait une autre grimace…

- Je ne joue pas, c'est trop fatiguant. On veut ce qu'il y a de mieux, dans la limite du…raisonnable, tu vois. Tu peux nous aider à l'obtenir, à le trouver là où ne vont pas les touristes, on vaut mieux que ça, c'est tout, simplement. J'apprécie quand on me rend service, je ne néglige jamais mes alliés, ceux qui m'ont tendu la main, aidé, même pour des choses basiques. Je suis quelqu'un de reconnaissant. Non vraiment, je n'oublie rien. Jamais, j'ai toujours été comme ça.

Qu'est-ce que je mens bien, j'espère que ça va servir. Je me demande si dans sa tête Ludgar rêve de se taper le front contre un mur, de gueuler ou si ça va.

- Je serai contente de pouvoir traiter avec toi, surtout que vous vous connaissez plutôt bien tous les deux.

Mon tour de grignoter un truc, puis je tends mon assiette a Ludgar. Ca aussi, c'pas anodin, je me demande si eux aussi ils analysent tout depuis le début ? Est-ce que ça sert à quelque chose ce que je viens de faire, est ce qu'ils y voient la signification ou juste des putains de crustacés très appétissants ?

- Je suis certaine que tu connais tellement plus de monde que je l'imagine, t'as pas qu'une adresse quand même ? Tu peux nous trouver ce dont on a besoin, vraiment besoin, ce serait tellement chouette !


Je lui fais un grand sourire innocent, toutes fossettes dehors.

- Oui ou non ?
Astrid Eide
Messages : 9
Ludgar FitzEleanor
Re: « Appelez-moi Astrid. » [Ludgar, Astrid] Dim 8 Mai - 21:27

Cela va faire cinq minutes que Russell Pelham ne sourit plus. Plus. Du tout. Lui qui avait cette sale gueule d’abrutis, toute guillerette, le voilà qui maintenant tire une gueule d’enterrement comme pas possible.


C’est, fort ironiquement, un très bon signe. Il a décidé d’arrêter de jouer au clown, pour trouver un air plus sérieux. Le capitaine Eide s’en sort vraiment pas mal — elle a l’air de lui avoir donné ce qu’il voulait. Ce qui l’empêche pas de faire la moue, de détourner le regard, et de pianoter sur la table, avant de parler d’un ton précieux ; presque comme une fille qui a envie de se faire draguer.

« Peut-être… Peut-être bien que je pourrais aider, oui. »

Je suis quand même surpris quand Astrid me tend son assiette. Je ne suis pas certain de ce qu’elle veut faire en faisant ça, mais Pelham me regarde intensément, alors il doit y avoir un message caché ? Je crois ? J’imagine ? J’attrape un acra de morue, le boulotte avec le bout des incisives, et d’un coup il plisse ses lèvres, comme s’il était satisfait.

« Je vais tendre l’oreille. Peut-être parler à quelqu’un. Tu veux des harpons, je te trouverai où obtenir des harpons.
Quoi d’autre, dont vous avez besoin ? »


Eide et lui discutent un petit moment. Je dois avouer que mon cerveau s’éteint un peu. Le capitaine peut se permettre de faire sa liste de courses, tandis que Pelham se tourne, hèle la personne au comptoir, et demande à ce qu’on leur amène une deuxième assiette et une petite bouteille de rhum, pour nous trois.

Ça dure un bon moment comme ça. Pelham dit où on peut parler aux pécheurs, nous file quelques adresses legit, il évoque même, fait rare, quelques noms — des Merriens qu’il dit être moins regardant que les autres sur le travail, peut-être plus des soiffards d’aventure, et où on peut les trouver. Ensuite, leur discussion tourne en un long concours d’anecdotes ; figurez-vous que Pelham et Eide ont grandi dans le même quartier de Misty Harbor ! Et voilà qu’ils rient aux éclats en parlant d’un boulanger. Moi, je commence à avoir mal aux jambes, alors je chaparde aussi un tabouret pour m’installer dans mon coin, et demeure dans ma bulle, à siroter l’alcool et grignoter les apéritifs que ramène une serveuse, jusqu’à ce qu’on me ramène soudainement dans la discussion.

« …Maiiis, c’est pas toi qui… heu… Créchait du côté du Red Burrow ? »

Je lève un sourcil en le regardant avec mon œil vitreux et alcoolisé. Il pouffe de rire :

« L’hôtel ! C’était pas là que tu créchais quand on était en permission chez la Sirène ?

– Hein ? Comment veux-tu que je le sache ? Je créchais partout, moi.
– Enfin bref, à côté du Burrow y avait, un… Marchand, Falberg, ça te dit quelque chose ? Grand gars, musclé, qui bégaye ? Le gars arrêtait pas de faire des duels, au premier sang. Mais il couchait avec une doctoresse, une de Neidrag, qui lui vendait du poison — il l’enduisait sur sa lame, tu vois, comme ça, il espérait qu’on puisse pas l’accuser de meurtre lors d’un duel, vu qu’il y avait un arbitre et tout…
Jamais aucun détective a pu rien prouver. Enfin bref, ce que je veux te dire, c’est : méfie-toi de quiconque a fait la moindre étude de médecine. Ces types sont les plus vicelards. »


Comment ils en sont arrivés à cette discussion ? Je fronce fort des sourcils, en essayant de retrouver le fil de la conversation.
Mais Pelham regarda sa montre à gousset à l’intérieur de son veston, et le voilà qui bondit.

« Rah, fait chier ! Faut à tout prix que je retourne à ma boutique, que je prépare pour l’ouverture demain !
Hé, et si vous passiez prendre le café demain, à midi ? J’en ai un magnifique, Telmar !
Astrid, ravie de te rencontrer, Ludgar, toujours un plaisir !
Ah, au fait — il y a une pièce d’opéra au théâtre ce soir, je vous la conseille très franchement ! Je me mords les doigts de pas pouvoir y aller ;
Ça vous changera totalement de la musique des tavernes de Misty — vous pourrez me dire si c’est en bien ou en mal !

– Oh ? C’quoi la pièce ?
Les maudits du désert.
Hé, pourquoi cette tête ? Vous voulez voir du monde et découvrir les Merriens, c’est un bel endroit ! »


Et le voilà qui me tape très fort sur l’épaule, avant de presser le peu de gras qu’il y a dans mon cou. Il tape fort dans la main d’Astrid, et lui donne une étreinte brève au-dessus de la table, alors qu’on se souhaite tous au revoir et bonne soirée. Il pose sur la table de quoi payer pour la bouteille de rhum et son assiette, et file illico en remettant sa capuche sur la tête, histoire de braver la tempête.

Dès qu’il est parti, je souffle très fort, en m’affalant sur le tabouret.

« Bon. T’en penses quoi de ce type ? »

J’espère qu’elle va me dire qu’elle l’apprécie. Et qu’elle va pas être trop curieuse, avec des questions chiantes. En tout cas, ça a été trop d’interactions sociales pour moi — je sors de ma poche une pipe et sa tabatière, histoire de m’empoisonner un peu, même s’il va falloir que je ressorte dehors pour l’allumer.

La bouche pleine, j’enchaîne sur une autre réflexion :

« La pièce d’opéra, c’est sur la légende de la fuite des esclaves qu’ont fondé la cité sur laquelle on est — on voit l’époque où ils étaient exploités tous les cinq par leurs maîtres, au fin fond du désert.
J’aime pas du tout. Pelham est peut-être emballé, moi je trouve ça long, chiant, et plein de ressorts de réal’ inintéressants. »


Je me rends compte que je suis le genre de personne qui a une opinion sur les opéras. C’est vrai que je suis né dans une famille super riche, mais c’est surtout qu’à l’époque où mon métier c’était de réchauffer des lits de vieux messieurs, y en avait plein qui aimaient parler de conneries — y comprit de putain de théâtre.

« Après, il a pas tort sur un truc ;
Si t’es capable de pas t’endormir pendant quatre heures et que tu fais semblant de pleurer des larmes à chaque scène triste, t’es sûre de pouvoir coucher avec un Merrien curieux qui t’as vu à la sortie. »

Ludgar FitzEleanor
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Astrid Eide
Re: « Appelez-moi Astrid. » [Ludgar, Astrid] Mar 17 Mai - 21:52

Après mes réponses, que j’espérais à la hauteur de ce qui se jouait, mais vu le changement brutal dans son attitude, je le crois, j’ai failli repartir dans le tutoiement une ou deux fois. L’alcool ça n’aide pas pour ça mais ça aide un peu à se détendre et puis après tout c’est un peu le boulot de Ludgar de surveiller les alentours à ma place. Mais ça aurait été une grosse erreur ce fameux “tu”, si bien que même crevée, j’ai fait attention, tout comme à la protection de mon assiette. Je ne vis plus dans un monde ou avoir l’air d’une jeune femme toute choupinette pourrait jouer à mon avantage, enfin si, mais non, c’pas comme çà que je veux mener la barque, la mienne en l’occurrence.

Bref, je me méfie un peu, à cause de ce j’ai cru percevoir chez le type posé sur son tabouret un peu trop petit pour lui, enfin je crois, peut être que c’est juste mon ressenti à moi, j’ai encore du mal à me fier à mon instinct, il a besoin d’être travaillé. Quoiqu’il en soit, j’ai passé un bon moment et je pense que j’obtiendrai ce que je veux sans difficulté. Du coup, on va pas se mentir, je suis assez fière, pas au point de me la raconter mais j’ai quand même un “c’était pas si dur” dans un coin de ma tête. C’est important d’assurer, pour moi, un peu, mais surtout pour tout l’équipage, j’y suis attaché même si je ne le montre jamais.

Je n’ai pas vu le temps passer, c’est ce qui arrive quand la conversation est intéressante mais je me rends compte qu’effectivement, on a traîné là un bon moment. J’attrape un des derniers trucs qui reste dans mon assiette et je me lève en même temps que Ludgar.

Qu'est-ce que je pense de ce type ?

- Pour être honnête je ne sais pas trop, il parle bien, il est amusant, mais je m’en méfie un peu. Toi, par contre, je crois que tu lui fais pas vraiment confiance. Mais que tu me l’as présenté parce que c’était la meilleure option.

J”ai tourné ça entre l’affirmation et l’interrogation, histoire de ne pas prendre trop de risques.  

M’étonne pas qu’il embraye sur la pièce. J’avais noté que l’évocation du théâtre avait ravivé un peu de vie dans ses yeux de poisson mort, enfin de mec bourré. J’agite la main devant moi pour écarter la fumée de tabac.

- Je pense que ça pourrait être amusant qu’on y aille ensemble. Mais si ça te barbe, j’irai seule, ou avec un des gars, y en a peut être un que ça intéressera.

L’idée de retourner jusqu’au navire pour trouver quelqu’un qui m’y accompagne - entre nous j’y crois pas trop - et de revenir jusqu’ici, ça m’épuise d’avance. Je m’arrête de marcher, j’attends qu’il s’en rende compte et qu’il fasse pareil et je lève mes yeux clairs vers lui jusqu’à trouver les siens. Je souris, juste un peu.

- T’arrives à faire semblant de pleurer, toi ? Je voudrais bien voir ça !

Mais ça c’est juste une question pour ne pas en arriver immédiatement à la seule dont je veux vraiment connaître la réponse.

- Tu crois que j’ai envie de coucher avec un merrien ?


Je ne suis pas en colère, ni offusqué où je ne sais quoi, juste curieuse, sans arrière- pensées, une curiosité saine quoi, de savoir ce qu’il pense de ça, de d'autres choses aussi. Alors autant poser une autre des questions qui me trottent dans la tête tout de suite.

- T’as menti pour Red Burrow, tu t’en souviens en vrai ? Tu sais Ludgar…

Je suis pas douée pour faire ça…

- On a jamais pris le temps, enfin on l’a pas vraiment eu, de parler d’autre chose que du travail tout les deux.

Ensemble, tous les deux…Il va se poser des questions à force. C’est un de mes défauts, pas de paraitre ambigu, non, mais de pas m'intéresser assez aux gens qui m’entourent. Encore une chose sur moi que j’essaie d’améliorer parce que je mens, encore, des occasions il y en aurait eu plein. Entre deux siestes.
Astrid Eide
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Ludgar FitzEleanor
Re: « Appelez-moi Astrid. » [Ludgar, Astrid] Lun 23 Mai - 23:19

J’ai aucune idée de si Astrid a emballé Pelham — mais heureusement pour moi, l’inverse est mitigé. Elle l’aime bien, mais pas encore assez pour être tombée sous son emprise. En même temps, après juste un début de soirée, ça aurait été vexant, et je me serais trouvé fort jaloux ; ça reste un monsieur aux cheveux grisonnants, quand même !

Trêve de conneries. Astrid se met à avoir envie de piailler. Elle me file plein de questions.

Quand elle me dit que je fais pas confiance à Pelham, j’ai juste à hausser des épaules. Je réfléchis, un instant. Tords mes lèvres. Et je me mets à sortir mes pensées à voix haute :

« Je lui ai sauvé la vie. »

Je me gratte la barbe, et me met à hausser une seconde fois les mêmes épaules, comme si ça devenait un tic nerveux.

« Ça doit bien valoir quelque chose. J’espère. En même temps il a aussi déjà sauvé la mienne, vu qu’il était le docteur de notre compagnie.
Je sais pas à quel point on est quittes, ou au contraire on a un lien qui durera à jamais. Je me dis, ça sera à lui de voir ce qu’il en pense. »

Je pourrais en dire plus, mais j’ai pas envie d’en dire plus.


L’avantage de sortir dehors, c’est que je peux allumer la clope. Le défaut, c’est qu’il continue de pleuvoir des cordes. Et alors qu’elle me demande si je veux aller à l’opéra, je hausse des épaules (Ouais, une troisième fois). Elle va commencer à me prendre pour un demeuré alors je trouve quand même un truc à dire :

« J’ai rien de mieux à faire de ma soirée. »

C’est seulement quand la phrase est sortie de ma gueule que je me rends compte qu’on pouvait difficilement faire moins enthousiaste.
Mais Astrid est emballée. Par je-ne-sais-quoi. Elle se met à me sortir un tas de questions, à la suite, elle les enchaîne à toute vitesse.
Je lui réponds pas à la question sur mes larmes ; ouais, je sais pleurer à volonté, mais je préfère juste faire un mouvement de sourcil histoire de pas m’auto-incriminer. Elle me demande ensuite si je la vois coucher avec un Merrien, je pouffe de rire du fond de mes nasaux et je lui rétorque :

« Bah pourquoi pas ? Y en a des pas vilains. »

Et après, elle me demande de dire la vérité sur le Red Burrow — elle a tapé dans le mille évidemment, elle est trop maline pour son bien. Je tire fort sur ma clope d’agacement, alors que l’eau dégouline sur ma tête et lisse mes cheveux.

Je m’arrête soudain, lui fait un grand sourire à pleines dents, et c’est avec une voix faussement rauque d’acteur de théâtre que je lui sors :

« Capitaine Eide… Êtes-vous en train de me faire du gringue ? »

Je la laisse bien mariner quelques instants, à rougir, à balbutier, à éclater de rire — j’ai aucune idée de comment elle va réagir, c’est ça qui est marrant.

« Parce que la pluie fait peut-être ressortir des envies romantiques, mais ça donne surtout très froid. »

Je lui fais un signe de la main vers les quais, là où se trouve le navire.

« On est obligés de retourner à l’Alcyonien. Pas pour trouver quelqu’un d’autre qui ira à l’opéra, mais parce qu’on y entrera pas habillés comme ça.
J’ai encore un costard. Toi ? »
Ludgar FitzEleanor
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Astrid Eide
Re: « Appelez-moi Astrid. » [Ludgar, Astrid] Sam 4 Juin - 0:35

Est-ce qu'on est lié à quelqu'un qui nous sauve la vie ? C'est une bonne question, j'imagine que ça dépend du contexte, de chacun de nous aussi. Si on connaissait notre sauveur avant ou non. Je pense que je me sentirai redevable à vie, dans une certaine mesure. Ça me rappelle que je n'ai pas réussi à sauver la vie du Capitaine, j'y pense souvent, trop souvent, même quand rien ne me ramène à cet événement. Je me fige, quelques secondes, je ne pense pas qu'il s'en rende compte, je me reprends vite quand ça m'arrive et un frisson ça passe plutôt inaperçu sous la pluie.

Il n'est pas particulièrement bavard, Ludgar, certaines questions l'emmerde, clairement. J'ai remarqué que ce n'était pas qu'avec moi, pas de quoi le prendre personnellement. L'espace d'une seconde je me dis que j'aimerais bien le rendre plus bavard, mais il résiste trop à l'alcool pour ça et ce serait plutôt malvenu vu que je suis moi-même assez secrète sur beaucoup de choses, en particulier le passé. Je me contente de lui marmonner un “tu me raconteras un jour”. Encore une fois j'opte pour un ton “presque” interrogatif, à peine, je veux pas qu'il se sente obligé, en tout cas qu'il est le sentiment que je lui mets la pression, parce que vu le coco s'il n'a pas envie de dire un mot sur ça, c'est même pas la peine d'espérer.

Bref, le principal c'est qu'il ait accepté de m'accompagner, j'oublie l'ancien Capitaine, le ton blasé, tout. Je ne sais pas ce qui m'emballe autant, surement le fait que je n'ai jamais eu l'occasion d'aller assister à une pièce. C'est pas mon monde, c'est nouveau et en même temps j'ai un élément familier avec moi. Enfin, familier, c'est un bien grand mot mais disons que je pourrais profiter. Et que j'avais pas forcément envie d'y aller avec quelqu'un d'autre.

Je rougis un peu quand il me parle de lui faire du rentre dedans, c'est toujours le genre de propos qui font cet effet et il le sait. D'ailleurs je jette des coups d'œil furtifs autour de nous, voir si on se fait remarquer, ne serait-ce serait que par un crétin, j'ai ma fierté. Je crois pas, je sais pas, j'ai de l'eau qui dégouline dans les yeux, je réfléchis rapidement. Soit je continue d'avoir l'air mal à l'aise, parce que là par contre, ça se voit, soit je rends le truc marrant. Je ne suis pas actrice, mais c'est un peu le thème de la soirée alors je pose une main sur ma poitrine, je prends un air faussement outrée et j'exagère la réponse.

- Moiiii ? Pour qui me prenez- vous mooonsieur ? Je suis une dame et pas n'importe laquelle, jamais je n'oserai me comporter de la sorte et que vous osiez…blabla”

Je dis deux trois trucs du genre, j'essaie d'être crédible dans le rôle de la noble outrée et ça fini par me faire marrer toute seule. Je reprends la route sans lui répondre immédiatement, la tenue, bonne question, j'avais même pas songé à ce problème. J'essaie de l'imaginer bien habillé, il ne doit pas être mal.

J'observe avec intérêt tout ce qu'il y a autour de nous, on a pris le même chemin qu'à l'aller mais c'est pas assez, une fois, pour que je me sois approprié ne serait- ce qu'un peu cet environnement nouveau, je suis clairement distraite, je baille un peu, mais la perspective de la soirée à venir me tient éveillée et alerte. Avec le plus grand sérieux, je tourne la tête vers lui et cette fois c'est moi qui hausse les épaules.

- Non, j'ai pas de costard.

Je ménage mon effet comique, enfin j'espère qu'il a trouvé ça drôle, moi oui, c'est sûrement la boisson. Je retrouve mon sérieux rapidement, comme toujours, je suis pas une grand comique, je ne sais plus si je l'ai déjà dit.

- …Mais j'ai une robe, du genre…charmante. Tu me diras, ce n'est pas le genre d'endroit que j'ai l'habitude de fréquenter, mais je suis presque sûre que çà fera l'affaire.

La dernière fois que j'ai porté ça, c'était avec lui, c'était sa préférée. Décidément, c'est la soirée des remontées de souvenirs, acides. Pensées que j'écarte aussitôt, facilement, comme toujours, l'habitude. Mais du coup la fin du trajet est plutôt calme vu qu'on ne cherche pas plus que ça à relancer la conversation. Calme, mais pas triste non plus. D'ailleurs je chantonne un peu jusqu'à ce qu'on retrouve l'Alcyonien.

La plupart des hommes sont là, visibles ou non, je le sais. C'est calme, les choses sont “presque” en ordre sur le pont principal, tranquille, ça me fait du bien de revenir là un instant, chez moi. Je retrouve les repères. Ils sont curieux, forcément, poseront des questions, mais demain, pas ce soir, sauf peut-être Guerric, si on le croise.

- Bienvenue à bord !

On le croise.
Il répète toujours ça, peu importe le moment, peu importe qui, c'est le dernier homme qui a rejoint l'équipage, presque homme, il a pas encore assez de poils au menton pour qu'on l'envisage vraiment comme ça, ici. Je fais un petit sourire en coin discret à Ludgar, mais pas assez parce que j'ai ma fossette qui remonte. Guerric est un peu mal à l'aise. Il incline la tête, rapidement.

- Capitaine.

Il se tourne vers Ludgar.

- J'ai fini ce que vous m'aviez demandé.


Il s'empresse d'ajouter à son attention, tout fier.

- Bien avant votre retour !
Astrid Eide
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Ludgar FitzEleanor
Re: « Appelez-moi Astrid. » [Ludgar, Astrid] Lun 20 Juin - 1:41

L’Alcyonien, c’est un petit rafiot. Il est pas fait pour un fret énorme — une demi-douzaine d’équipage suffisent à son fonctionnement, mais actuellement, le capitaine Eide a onze marins pour ses ordres — dont moi. Actuellement, il est à quai sur la tortue, alors l’unique grosse cheminée ne crachote rien. La plupart des gars ont permission, excepté pour ceux qui sont d’astreinte, parce que faut bien des gens à bord pour éviter les vols et répondre aux autorités ; mais comme l’hôtel coûte cher, et qu’il pleut des cordes, je suis sûr que tout le monde répond à l’appel et se contente de jouer aux cartes dans les cabines.

J’admets, j’en pense pas grand-chose, de ce navire. J’y tiens pas comme si c’était toute ma vie ; le Ludgar est volage. Ce qui m’intrigue plus, c’est la capitaine elle-même. Elle m’a recruté moi, pour servir de bosco, alors qu’elle connaît les types à bord depuis… Eh bien, depuis bien plus longtemps que moi. J’ai parfois la sensation d’être un étranger ici, au milieu de marins qui ont déjà leurs façons de bosser, qui ont toutes les manœuvres et le rythme gravés dans leurs têtes, aussi sûrement que respirer et éternuer c’est automatique.
J’ai jamais posé la question de ce qu’Eide attend de moi, parce que, eh bien, c’est un boulot où je suis bien payé pour pas faire grand-chose. J’ai cru deviner que j’étais une sorte de garde-du-corps, pour elle. Ça serait raccord avec mon CV, c’est certain. J’ai appris à obéir et peut m’interroger, c’est ce qui m’a sauvé quand j’étais merco.


Guerric nous accueille de façon bien guillerette. J’admets que j’ai totalement oublié ce que je lui ai demandé — je suis sérieux comme ça. Je tire sur ma clope en fronçant des sourcils, je marque une petite pause, pour me donner un air un peu ténébreux, puis je me contente de grommeler un truc :

« C’est bien garçon. Mais romps pas le rang, on fait qu’passer et on repart aussitôt, faut que tu montes la garde. »

Guerric est tout fier d’obéir aux ordres, il a ce… Ce dynamisme, comme seuls les jeunes peuvent avoir. Ils sont contents de faire plaisir, surtout quand on les a sortis des bas-fonds de Misty pour leur donner la chance de voyager à travers le monde sur un rafiot.
On peut pas foutre toute la ville sur des paquebots, même si aux yeux d’Alqara, bah, Harborien et matelot c’est devenu une sorte de pléonasme. Faut mériter sa place à bord, et y a que ceux qui ont de la bouteille qui peuvent se transformer en grognards bien attachés à leurs privilèges et leur rôle à bord.

Je regarde le ciel. J’ai une petite intuition.

« On dirait bien que le ciel va se calmer. Ça veut dire que t’as pas d’excuses pour pas bien te saper. »

En vrai je ferai le bon gentleman avec un parapluie — faut bien que mes deux mètres servent à quelque chose. Mais hé, si on peut éviter de remonter jusqu’au quartier où y a les théâtres en traversant une tempête, c’est tant mieux.


La chance d’être bosco, c’est que j’ai une cabine rien qu’à moi. Le truc triste, c’est qu’elle est toute proche de la salle des machines. C’est pas tant l’odeur d’huile, la chaleur des conduits, ou le bruit assourdissant qui me gênent — pour le premier je suis habitué à pire, pour le second je dors à poil, pour le troisième y a des boules à foutre dans les oreilles — que la compagnie. Je peux pas atteindre ma cabine sans croiser la chef mécanicienne, une folle dingue qui parle avec la chaudière comme si c’était une relique religieuse. Je dois descendre les escaliers à pas de loups, alors que je m’enfonce dans les boyaux du navire, là où les flots nous agitent plus, avant d’aller trouver ma porte.

Par miracle, je tombe ni sur elle, ni sur un machiniste, et je peux donc trouver mon petit chez-moi de 5m² — cozy, je vous dis.
Sous le lit, y a une grosse malle. Je la prends, et je la jette sur le lit de camp. J’ai de la chance qu’il soit solide, je peux faire ça sans le faire péter. J’ouvre, et dedans je trouve mes affaires : mon flingue (J’ai le privilège d’en avoir un dans ma chambre, et non enfermé sous verrou dans la cabine du capitaine, comme d’usage), mon sabre, mon ancien uniforme du Héron Bleu avec son kilt, des photos en argentique, des souvenirs de tas de lieux que j’ai visité, de combats que j’ai menés, et d’une femme que j’ai aimée. Y a un pochon avec un peu de coke, mais c’est juste en cas d’urgence, je ne suis pas addict. En revanche y a une bouteille de bourbon, et ça pour le coup c’est un poison qui me ruine petit à petit.
Je trouve un petit miroir, que je pose sur le rebord du lavabo, l’unique point d’eau ici. Je me fous à poil, je tire l’eau froide, et je me recouvre rapidement sous les aisselles et sur la gueule. J’ai un peu de parfum qui traîne, alors j’en mets un petit poing sur les poignets et sur le cou, pas trop non plus. Et ensuite, comme promis, je déballe mon costume-cravate, bien emballé dans du papier crépon pour essayer de le protéger des mites.

Chemise en soie, avec des boutons dorés. Cravate que je noue par un double-tour. Je ferme le veston à moitié, de même que le pardessus donc je vérifie bien le col. Sur mes pieds, j’enfile de jolies godasses, bien cirées. Il me manque juste le haut-de-forme et la canne pour achever mon air de dandy, mais c’est plus embêtant à embarquer à bord.

Le reste de mes affaires, je les laisse en bordel monstrueux derrière. Ludgar FitzEleanor a beau exiger une parfaite obéissance à l’hygiène et au rangement à bord, la vérité c’est qu’il est un gros bordélique, mais ça les autres ont pas besoin de le savoir.
Ludgar FitzEleanor
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Astrid Eide
Re: « Appelez-moi Astrid. » [Ludgar, Astrid] Mar 28 Juin - 18:16

Quand il a dit que le ciel allait se calmer, j’ai levé les yeux là haut, j’en étais pas aussi certaine que lui, mais il se trompait rarement sur le temps, donc j’aimais pas dire “moi je pense que..”. Alors j’ai lancé avec conviction.

- Je crois que bien t’as raison !

Puis j’ai posé les mains sur mes hanches, penché légèrement la tête tout en le fixant, je visualisais ma tenue, sur moi, maintenant que c’était…maintenant, quoi.  

- Je pense que ça va entrer dans les critères.

J’ai fait demi tour et j’ai rejoint mes quartiers, c’était tout propre devant ma porte, Guerric sûrement, il en fait souvent plus que je lui demande, même s’il reste parfois les bras ballants à se demander quoi faire avec une inquiétude tellement grande à l’idée de servir à rien que tout le monde le sent.

Ma cabine personnelle n’est pas si luxueuse que ça, mais franchement, je n'ai pas à me plaindre, je me sens bien ici et heureusement vu le temps que passe à contempler le plafond en attendant le sommeil. Y a des choses que j’ai laissé, avant que ça devienne la mienne de “maison”, en souvenirs, mais pas que pour ça. Un jour, quand je sentirai que c’est ma place, mon rôle, je ferai en sorte que cet endroit me ressemble, je me l'approprierai vraiment. Pour l’instant je suis locataire, point barre.

Je me dirige jusqu’au fond de la pièce, je m’agenouille et je relève le drap pour attraper la malle sous mon lit. Il me faut un moment pour l’ouvrir, je fais semblant d’essuyer la poussière, en vrai c’est juste que c’est un peu douloureux, j’ai pas touché ça depuis longtemps, d’ailleurs la poussière est bien réelle. Je ne sais pas pourquoi j’ai gardé tout ça. Son carnet, j’ai même un gant à lui, juste un seul, j’ai jamais retrouvé l’autre dans la chambre ce jour-là, le dernier.

Bref, je me décide enfin à ouvrir la boîte aux souvenirs. J’écarte deux trois choses en me forçant à ne pas m’y attarder, pour extirper la fameuse tenue couleur lie de vin normalement dans les critères. Je la traite avec délicatesse, comme si j’étais un gentleman avec la demoiselle qu’il courtise.

Elle me va bien, je veux dire au niveau des mensurations. Le tombé de tissus de la robe au niveau de la cuisse est parfait, le décolleté, juste ce qu’il faut, pas un fil qui dépasse, pas de faux plis. Quand je me regarde dans les yeux, dans le miroir, j’ai une drôle de sensation, celle d’être observé par quelqu’un qui n’est pas moi. On se fixe, on se jauge, on se juge peut-être. La nouvelle et l'ancien moi, j’ai pris la robe de quelqu’un d’autre.

Comme si j’avais pas le droit de l’enfiler de nouveau, de me sentir comme avant. J’ai du mal à analyser mes sentiments, à décrire cette impression. Je prends le temps d’attacher mes cheveux en chignon rebelle, je sors le rouge et le noir. Un peu de rouge sur les lèvres, plus de noirs pour les yeux. Le sac assortis.

Et là j’oublie tout, y a un problème, enfin, pas un gros, mais les chaussures c’est pas le top, j’avais pas trop pensé à ça, j’espère qu’il y prêtera pas attention. Je grimace en glissant mes pieds dedans. J’ai gagné quelques centimètres d’assurance, c’est pas que j’en manque réellement, mais ça fait quand même plaisir. D’ailleurs je jette un dernier regard à l’ancienne moi et je lui lance un sourire séducteur, apparemment j’y arrive toujours. Pas que j’ai besoin de mes atouts de séduction, j’évite même volontairement de m’en servir mais ça aussi, ça à un côté rassurant, même si je ne sais pas trop pourquoi là de suite.

Je finis par rejoindre le pont, je croise Harold, la bouche entrouverte, à peine.

- Quoi ?

Ça m'agace. J’écoute pas la réponse, je rejoins le pont, le bosco. Et là j’en reviens pas, je sais que c’est lui, là, de profil, évidemment, mais lui aussi c’est un autre. Même sa manière de se tenir me semble un peu différente, mais je me fais surement des idées, c’est la classe qui se dégage de lui qui doit me perturber, ça contraste avec ce que je connais et pas qu’un peu !  

Ludgar aussi est un autre, je me demande lequel est réellement le vrai. Celui que je connais ou le presque gentilhomme qui me regarde à présent. Ça me donne envie de poser pleins de questions, quand le moment sera opportun, en tout cas, selon moi, je pense que pour lui, il n’y aura pas de bon moment.

Je lui souris et je lâche un sifflement admiratif, un peu trop viril, pour qu’il se tourne vers moi.

- Et ben, la tenue ça vous change un homme !


Ca caille un peu, les épaules à l’air, mais je n’ai plus rien à mettre par-dessus une tenue comme celle-là. Je réprime un frisson.

- Alors, je suis assez bien sapé à ton goût ?

Je fais un petit tour sur moi-même en sur-jouant l’action, avant de lisser le devant de ma robe, de réajuster mes cheveux et de me rappeler de mes chaussures un peu pourries, je suis sûre qu’elles ont honte face aux siennes. Il ne va pas remarquer, les hommes n'ont pas le sens du détail comme nous. On va s’en persuader. En tout cas, Harold, je suis sûre qu’il a pas fait attention…
Astrid Eide
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Ludgar FitzEleanor
Re: « Appelez-moi Astrid. » [Ludgar, Astrid] Mer 29 Juin - 10:53

Avachi sur la rambarde du pont, je mate Falaise, mon crâne rythmé par le début de migraine du sevrage alcoolique. Je suis passé devant plusieurs matelots avec mon beau costume cintré, mais hormis quelques blagues de marins surpris, rien d’autre à signaler. Ce qui est cool, avec mon boulot, c’est que personne me prend pour un branleur ou un petit con quand je m’installe dans un coin à faire la gueule, c’est ce qu’on attend de moi, d’être le gros dur silencieux. C’est pratique, parce que j’ai rien d’intéressant à raconter, à personne. J’en suis arrivé à un point où je pense même pas à ma vie en me faisant chier à patienter, même face à l’horizon agité. Immensi tremor oceani, « Craint l’immensité de l’océan », c’était ça la devise de ma compagnie. Si vous regardez la mer et que vous voyez quelque chose de paisible ou romantique, vous êtes un crétin fini. Elle nous avalera tous, la mer.

Je sais pas depuis combien de temps je suis là, je calcule plus les minutes. Mais à un moment, y a le capitaine Eide qui se ramène. Et là, je suis bien forcé d’être tiré de mes rêveries bougonnes, je peux pas demeurer froid, parce qu’il y a comme quelque chose de plus vestigial qui a l’air de se réveiller en moi.

Quelle âme bizarre, Eide. Trop jeune, trop joyeuse, trop curieuse pour commander un navire, elle devrait susciter des questions chez n’importe qui, mais moi j’ai pris l’habitude de m’en foutre tant que j’étais payé. La voilà qui débarque en robe rouge foncé, et avec le maquillage qui lui rajoute des années. Elle ressemble plus à un tas d’os dans un sac, là elle ressemble à une dame, comme on en voit dans les beaux salons.
Je fais un petit sourire en coin, et opine légèrement du chef.

« Les Falaisiens vont être ravis, ouaip. »

J’attarde mon regard un peu trop longtemps sur elle. Comme quoi, je suis pas si impassible que ça. Mais restons professionnels, un peu de sérieux. Je me détache de ma rambarde, m’approche du ponton, saute sur le quai, et me tourne en tendant une main pour l’aider à grimper. Je fais jamais ça d’ordinaire, mais avec des talons aux pieds, même une virago comme Eide va devoir jouer à la chaperonnée.

« Le théâtre est à une petite trotte. Si tu as froid… »

Je termine pas ma phrase, parce que j’ai envie de dire une vacherie.

« Bah normalement les dames de bonne compagnie, elles portent des écharpes. Mais bon, on dirait bien que tu vas insister pour que je te prête mon manteau à un moment. »

Je lui offre un gros sourire d’enfoiré, à pleines dents.
Mais y a une petite voix dans ma tête qui me rappelle que je suis tout de même un enculé. Et que je suis censé être son subalterne, surtout, alors, je bégaye un peu en me rattrapant.

« C’est quand même une sacrée mise, ça te va vraiment bien. Le prend surtout pas mal, mais je t’aurais jamais imaginé comme ça… Enfin, on se connaît à peine, pour être honnête je t’aurais jamais imaginé d’une quelconque façon.
Pardonne-moi, je suis un peu con. »
Ludgar FitzEleanor
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