HISTOIRE
Seuls les deux aînés de la famille peuvent prétendre au titre de Meneur, les autres, sont inutiles.
Telles sont les lois de Corail.
Et Darienn était le troisième de sa fratrie, alors, il était inutile.
Dès la naissance Darienn était confié à sa grand-mère pour que ses parents se concentrent sur le futur des aînés, dont l’un deux deviendrait un Meneur. Darienn était seulement bon à offrir à une des héritières une descendance, il n’était dans le Grand Manoir que pour un jour offrir sa semence. Et ceci il le comprend dès qu’on lui présenta à ses six ans sa fiancée : Connie, Aife, Automne du Sagittaire, la descendante du fondateur Yadriel.
Monde corrompu.
Le peuple ne le savait pas évidemment. Ils ne savaient pas que les Meneurs se mariaient entre eux pour garder un minimum de sang pur, et lui devaient alors se marier avec cette fille qu’il trouvait insipide et sans personnalité. Elle était plate. Non. Elle était sans saveur. Elle n’avait jamais aucun avis, elle se rangeait toujours du côté de la majorité, ou de ceux qui avaient le plus de pouvoir. Elle était une ombre qui voulait briller en passant par la lumière de ceux qui brillaient le plus fort. Darienn la détestait. Il aurait simplement pu ne rien lui trouver sans la haïr mais il la détestait de plus en plus chaque jour lorsque ses parents lui offraient de l’affection alors qu’ils n’en avaient aucun pour lui, creusant ce sentiment de n’être d’un instrument pour cette obligation d’enfanter.
Peut-être était-ce cette jalousie et cette envie qui poussait Darienn à être turbulent en cours. Il ne restait pas en place et même s’il respectait ses aînés, il n’obéissait pas, il passait son temps à faire des petites bêtises sans conséquences, mais agaçantes. Plus que tout, Darienn prenait du retard sur son apprentissage et ses camarades commençaient peu à peu à se moquer en lui en le traitant d’idiot. Pour ne pas avoir honte, ses parents décidèrent de lui faire cours à la maison avec un instructeur sévère et compétent. Le professeur ne lui infligeait pas de punition physique, mais lui donnait des devoirs supplémentaires du matin au soir pour rattraper son retard et le tenir tranquille, tant et si bien que Darienn finit par être enfermé, reclus, dans le Grand Manoir. Pour l’encourager, l’instructeur lui promettait qu’il aurait du répit et retournerait à l’école avec les autres enfants s’il travaillait bien et rattrapait son retard.
Darienn ne savait pas qu’il avait déjà une avance sur les enfants de son âge car il n’avait plus le droit de sortir, il n’avait aucune compagnie mise à par celle obligatoire de Connie et celle agréable de sa grand-mère, il ne faisait qu’étudier et dans ses seuls moments de distraction il avait pris goût au dessin. C'était ainsi que Darienn grandit, reclus et enfermé dans une prison dorée.
Ce ne fut que lorsqu’il eut 10 ans que Darienn comprit qu’il était bien plus avancé intellectuellement que les enfants de son âge, lorsqu’il passa les examens de compétences, il était assez intelligent pour être dans la recherche, assez manuel pour être dans la construction, assez observateur et appliqué pour l'artisanat et même assez lettré pour aller dans l’enseignement. Darienn était en rage lorsqu’il comprit que son instructeur s’était joué de lui et décida de ne rien faire. Absolument rien. Mais cela, tout le monde s’en fichait puisque Darienn était enfermé dans sa prison dorée, tant qu’il n’existait pas aux yeux du monde, il pouvait bien faire n’importe quoi ou ne rien faire, peu importe.
Même si Darienn décida de flâner sans apprendre quelconque métier, il avait tout de même l’obligation de se marier avec l'héritière de Yadriel et passer encore plus de temps avec elle vu qu’il n’était sous aucune formation.
Pour attirer l'attention, elle ne faisait que parler d’elle et son couple avec Darienn, exagérant la romance inexistante, ramenant toujours les sujets à elle, tout le temps. Cela l’irritait, cette égocentrisme. Elle ne s’en rendait pas compte, évidemment, car elle paraissait fragile et pure, alors tout le monde la traitait comme un oisillon, alors que lui était le vilain petit canard. Pourquoi, si elle était si parfaite et innocente, pourquoi la fiancer au mouton noir du manoir ?
Connie
Son prénom. C’était tout ce que Darienn avait retenu en 12 ans de “relation”, il ne connaissait pas sa couleur préférée, qui changeait en fonction des gens, ni même sa musique préférée ou ses passe-temps, qui n’étaient non plus jamais les mêmes. De toute manière il ne lui parlait pas, lorsqu’ils étaient seuls elle ne faisait que parler sans jamais lui demander de s’exprimer, elle avait ce besoin incessant de parler d’elle, seulement d’elle et se moquait bien des autres, elle ne les écoutait pas, elle faisait semblant pour bien paraître mais se moquait bien de connaître bonheur, tristesse ou avis de chacun, seul le sien comptait. Il ne comprenait pas comment elle pouvait être aussi égocentrique d’une part mais aussi mielleuse en présence de plus haut qu’elle d’autre part.
Une fois, une seule fois, Darienn a soupiré avant de lui dire qu’il en avait assez qu'elle ramène tout à elle. Cette seule phrase lui a valu une remontrance sans précédent de la part de ses parents, il en était presque heureux, les parents de cette fille allaient annuler les fiançailles et il en serait débarrassé à jamais. Malheureusement, il fut forcé de s’excuser auprès de cette fille inondée de larmes. Larmes qui ne devaient certainement pas être sincères. Elle disait ne pas comprendre, exagérant ses pleurs et ses sentiments pour paraître une victime de l’affreux rejeton de la lignée d’Elédoria. Elle lui a “pardonné” montrant une nouvelle fois qu’elle était un ange et lui un démon, creusant encore plus l’exclusion de l’adolescent. Il était déjà exclu de la vie extérieure, et même à l’intérieur il avait l’impression d’être un pestiféré. Seule la grand-mère de Darienn voyait le petit jeu de ces enfants, mais elle ne pouvait rien dire à ces adultes qui avaient déjà collé une étiquette sur le garçon depuis sa naissance, tout ce qu’elle pouvait faire était de le réconforter et être là pour lui.
Un triste jour, la soeur aînée de Connie, Claya, prise d’une forte fièvre, rendit l’âme avant l’arrivée de médecin de la cité de Neidrag. Cette dernière devait épouser le frère de Darienn, Kaëder, afin de préserver la lignée de ce dernier. Puisque la descendance de Kaëder était bien plus importante que celle de Darienn, les Meneurs décidèrent à l’unanimité d’annuler les fiançailles de Darienn et Connie pour que cette dernière épouse Kaëder. Darienn était aux anges. Certes, il était triste pour Claya, sa mort était préméditée et a mis sa famille et la Cité en larmes, mais il n’était plus obligé d’épouser une personne qui l’insupportait, il avait un goût nouveau dans la bouche et dans le coeur, un goût étrange et fascinant de liberté.
Darienn passa alors le plus clair de son temps seul ou avec sa grand-mère dans “la prison dorée" regardant énormément la Grande Place où il pouvait contempler la vie. Avec le dessin et la lecture, sa seule distraction était de discuter avec le coursier qui venait déposer lettres et colis, ce dernier prenait toujours 10 minutes pour raconter à Darienn ses aventures au-delà de Corail et Darienn rêvait en écoutant ces récits.
Plus le temps passait, plus Darienn devenait un fantôme dans son foyer, devenu assez grand pour que personne ne s’occupe ou ne s’intéresse à lui, on ne l’appelait plus pour les repas, on ne le visitait plus dans sa chambre, on ne l’invitait plus aux fêtes du soleil, il pouvait être mort que personne ne s’en apercevrait.
Le déclencheur de son éveil fut le mariage de Kaëder et Connie, qu’il regarda depuis une des immenses fenêtres du Grand Manoir. Tout Corail était présent pour l’événement, sauf lui et Siren, sa grand-mère, dans son fauteuil roulant.
“Il faut te trouver une gentille femme et vivre paisiblement.
_Je ne veux pas de cette vie stérile et sans saveur. Regarde les, ils passent leur temps à sourire, mais sont-ils vraiment heureux de cette vie monotone ? Se lever, travailler et se rendormir, arpentant les mêmes rues chaque jour, chaque nuit. Parlant aux mêmes personnes, faisant toujours les mêmes gestes. Soit on est dans la norme soit on est exclu. Nous sommes des nomades mais voyons les mêmes paysages. Nous descendons d'esclaves mais nous avons fait nos propres chaînes. Moi je ne veux pas me cantonner à un seul métier, je ne veux pas me marier et je ne veux pas procréer. Tout ce que je veux est en marge de la société, alors, quelle est donc ma place ici ? Je… J’aimerais devenir coursier et voyager à travers Alqara de mes propres jambes et le découvrir de mes propres yeux.
_Oh mon petit Dary, je ne souhaite que ton bonheur, mais cette vie que tu choisis est remplie de solitude et de danger. Lorsque tu seras trop vieux et fatigué pour fuir les loups, qui sera là pour t’attendre à ton retour ?
_Toi, dit-il en s’agenouillant pour lui prendre les mains
_Je ne suis pas éternelle mon petit, répondit-elle en lui caressant la joue, que feras-tu lorsque je ne serais plus là ?
Cette question resta sans réponse. Il savait que sa grand-mère avait raison, les grand-mères avaient toujours raison, mais comment pouvait-il être heureux s’il ne savait pas ce qu’était le bonheur ? Il avait besoin de faire ses armes pour vivre dans ce monde où la seule personne qui l’ait jamais aimé ne soit plus là.
Une semaine plus tard, Darienn annonça sa décision à sa famille. Agacée de ses enfantillages, ils acceptaient, le chassant presque du Grand Manoir. Siren lui fit tout de même un précieux cadeau de départ, une bébé furette albinos, blanche avec des yeux rouges, la raté de la portée, personne n’en voulait alors avant qu’elle ne soit tuée la grand-mère l’a prise pour l’offrir à Darienn. Le jeune homme se reconnu à travers cette pauvre petite chose et chérit ce cadeau plus que tout.
Darienn commença alors sa formation de coursier, d’abord trieur puis facteur interne, il apprit auprès de la milice à se battre et se défendre afin de survivre dans les terres hostiles d’Alqara.
Il commença sa première course à l'âge de 20 ans avec la compagnie de Sally, sa furette domestique, plus féroce et redoutable que n’importe quel animal sauvage qu’ils pouvaient croiser, ainsi que son pendentif renfermant un avantage qui lui permit de survivre à de nombreuses reprises.
Depuis lors, Darienn voyage à travers Alqara pour distribuer le courrier et essayer de trouver sa place dans ce même monde en cachant son ascendance aristocratique.