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[Flashback - 1617] D'abord, ne pas nuire [Ludgar, Liv]

Ludgar FitzEleanor
[Flashback - 1617] D'abord, ne pas nuire [Ludgar, Liv] Jeu 19 Mai - 17:53

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Spoiler:



Le SY Ouroboros est un très beau yacht, surtout quand on est perché tout au-dessus. Quand on monte sur un tel bâtiment, on voit tout de suite la différence avec tous les autres bateaux du monde. C’est pas une embarcation de fret bien épaisse pour être fonctionnelle, ni un navire militaire lourd et racé, pas même un rafiot de pêche où les odeurs de poiscaille se sont infiltrées partout dans la coque après de sempiternelles traques à la sardine. C’est un vrai beau navire, léger, racé, beaucoup plus long que large ; il fend la mer en deux, et flotte sur les vagues à la manière d’une tortue. Bien sûr, c’est petit, mais c’est pas comme si on devait transporter tout un régiment : l’équipage, on le parque à la proue, quand ils ne dorment pas dans la salle des machines, avachis sur des hamacs surmontés au-dessus des fours et du charbon — ainsi, on peut faire de la place pour la magnifique terrasse, la grande salle de jeu, et les riches cabines confortables des passagers.

Une petite douzaine de personnes font le voyage de Misty Harbor jusqu’à Falaise, et il y a le double de matelots, domestiques, et mercenaires. Notre arrêt à Neidrag, une courte escale il y a deux heures, a juste servi aux manœuvres pour embarquer des vivres frais à servir au repas, et quelques passagers invités de marque ; je n’ai même pas eu le temps de profiter de l’arrêt pour visiter la ville, alors que j’étais bien curieux. Je ne pense pas que l’Ouroboros m’aurait attendu.

Actuellement, juste suis planté juste devant la cheminée, sur le toit du grand bâtiment principal qui sert de restaurant-salle de jeu-salle de fêtes, selon ce que le maître d’hôtel a prévu au programme. Lettice, assise sur la rambarde, est en train de tirer sur une cigarette, qu’elle me passe pour que je profite également de quelques taffes ; et ça va faire une demi-heure, maintenant, alors que Neidrag devient de plus en plus petite derrière nous, qu’on fume silencieusement en regardant les prestidigitateurs de ce soir s’activer derrière la salle. Des danseuses de cancan s’agitent dans tous les sens, en fixant leurs robes et corsets, en tirant leurs collants, en refaisant leurs maquillages, sous les cris d’une vieille femme acariâtre qui menace de planter des épingles dans leurs dos si elles ne tiennent pas leurs bustes biens droits.

On sait qu’on s’entend bien avec quelqu’un, pas quand on discute facilement avec lui, mais quand on peut passer un long moment de silence. C’est ça, ma relation avec Lettice. La petite rousse est toujours à mes côtés, et on passe nos vies tout le temps l'un sur l'autre. On a rien à se dire maintenant ; on vit les mêmes choses, on a les mêmes expériences. Alors on se tait, et on fume, durant ce petit moment d’accalmie. Lord Reynor Harrowden est occupé, et c’est le genre d’occupé où il n’a pas besoin de ses deux « domestiques », pour lui chercher à boire, lui préparer son encrier, ou lui mettre un peu de parfum.
Il dort. Il dort à l’opium, en fait. C’est les meilleurs moments, ceux où il se dope au pavot, s’avachit dans le lit, et ne répond plus de rien. C’est les instants de répit, où Lettice et moi, on a momentanément quelques moments à nous, où on peut aller chourer des gâteaux aux cuisines, se laver, ou bien juste regarder la mer sans rien dire.

On pourrait croire que notre boulot est génial. Quels domestiques ne feraient pas n’importe quoi pour entrer dans la maison de gens comme les Harrowden ? Lord Reynor est Riche. Pas riche, Riche, avec un « R » majuscule. Il n’est pas juste monétairement capable d’acheter du luxe, des beaux vêtements, du brandy et des voyages en yacht — il est capable d’acheter bien plus que tout ça. Il peut acheter de l’influence, de l’armement naval, des mercenaires ; plus que tout, il est capable d’acheter la conscience des gens. Il est un de ces hommes qui a fait fortune avec un mélange de talent, de chance, et peut-être surtout, de brutalité absolue.

Ça va faire des semaines que je suis son valet. Lettice est sa femme de chambre depuis plusieurs mois. Ça fait peur. Ça fait peur, parce que monsieur Reynor est entouré de gens qui le suivent depuis des années ; son maître d’hôtel, ses gardes-du-corps, ses prêtes-noms, ses capitaines de navires l’ont servi jusqu’à plus d’une décennie pour les plus vétérans. Que les deux jeunes personnes qui partagent sa vie et ses gestes quotidiens sont recrutés depuis relativement tôt, ça interroge sur nos prédécesseurs, n’est-ce pas ?

J’en dirai pas plus. Je laisse à l’imagination. C’est mieux.



Une sirène retentit. Pas l’énorme corne de brume du navire, ça c’est pour annoncer son arrivée au port — c’est interdit dans presque toutes les cités-États d’Alqara de faire un boucan terrible pour annoncer qu’on se gare sur les quais, mais qui va filer une contre-dense aux Harrowden ? Juste un carillon strident, plus mesuré. Un moyen de prévenir les gens très riches qui dorment dans les cabines que l’animation de ce soir va bientôt commencer. Sous nos pieds, les danseuses de cancan inspirent un bon coup, et entrent en file indienne sous le houspillement de leur marâtre qui claque dans ses mains et les traites de grosses vaches.
Lettice soupire un bon coup. Elle me vole la cigarette qui est entre mes lèvres, tire dessus une dernière latte, puis l’envoie voler dans l’eau d’une pichenette. Et avec un simple mouvement de tête, elle m’enjoint à la suivre.

On descend l’escalier de service métallique. On entre dans la grande cuisine, où des commis s’activent dans tous les sens au milieu d’un enfer de flammes et de vapeurs ; ils bondissent entre le plateau de tartines de caviars, les marmites de homard, et les fritures d’ortolan. Ils ne nous accueillent ni d’un « bonjour », ni d’un « bon courage », ni même d’un regard en fait. On fait pas vraiment partie du personnel, on a pas droit aux encouragements corporatistes. On est dans le décor, deux fantômes. C’est qu’on est trop bien habillés pour être confondus avec eux ; j’ai une chemise cintrée, un pantalon élégant, elle a une belle robe soyeuse qui marque sa faille — on passerait presque pour des nobles avec nos belles mises, presque, tout est dans le détail et l’attitude ; ni elle ni moi ne sommes vêtus de bijoux, par exemple. Pas de bagues, pas de colliers. On est là pour servir.

On passe dans la grande salle qui se remplit. L’atmosphère change du tout au tout. Pas de chahut ici, pas de cris, pas de bruits stridents ; il y a une petite musique qui flotte dans l’air, un petit air de piano qu’un musicien joue au bout d’une grande estrade. Et rapidement, Lettice et moi traversons cette pièce en regardant presque le sol, sans avoir l’air d’être pressés, mais en priant silencieusement qu’on ne nous arrête pas.
Les invités sont tous majestueusement bien vêtus. Y a des costumes à épingles, couverts de médailles. De longues robes échancrées, portées avec de longs chapeaux. Quelques voiles Telmars, de jolies bagues d’orfèvres de Falaise. Et ça cocotte, ça sent fort les parfums, les eaux de toilettes et le jasmin. Tout ce beau monde discute, et pas plantés debout ; beaucoup sont vautrés sur des divans, quelques-uns n’hésitent pas à s’accoler, montrer de l’affection en public, beaucoup d’affection. Une grande dame a un serpent, un vrai serpent vivant, enroulé autour de son bras. Dans le creux de mon oreille, j’entends un gros monsieur se vanter qu’il pourra bientôt acquérir les mercenaires du Héron Bleu pour le servir — il essaye d’impressionner d’autres gens.

Si moi et Lettice nous marchons vite, c’est parce que c’est un endroit où on ne peut pas refuser qui que ce soit. Ces gens-là, venus de toutes les cités de l’Alqara, ils ont été invités par monsieur Harrowden pour une excellente raison : d’une façon ou d’une autre, ils sont tous voués à lui rendre service. Parce que ce sont des partenaires équitables, ou des vassaux obéissants, généralement il tente de faire passer les premiers dans sa seconde catégorie ; et des gens de sa famille, ou de sa belle-famille, car il a fait en sorte que ses enfants, ou nièces et neveux, se marient bien. Il peut se le permettre. C’est ça, l’avantage, quand on est Riche, on peut se permettre de le devenir encore plus, et de le rester indéfiniment.

Par chance, cette fois-ci, personne ne nous a sifflé, en demandant d’une voix enjôleuse que l’on s’approche un peu, pour voir quelque chose, ou répondre à une question, un bon prétexte à la suite. On peut donc aller au bout de la pièce, et aller devant une porte où se trouve un gros bras, habillé en noir avec une cravate, si bien qu’il ressemble à un pingouin. Le garde nous ouvre sans même nous parler, et on monte le premier étage qui mène aux cabines.

C’est devant la plus grande cabine, celle tout au fond et qui a une double-porte, que se tient un immense homme, aussi grand que moi (Et pourtant je suis très grand, même si je suis fin comme un trombone), musclé, avec une mâchoire bien carrée à la manière d’un bouledogue, et un crâne intégralement rasé.


Spoiler:


Miles Arundel, chef du service de sécurité de notre employeur, nous observe tous les deux. Il nous épie rapidement de la tête aux pieds, avant de faire un simple geste de la tête pour nous indiquer le mur.
Monsieur Arundel regarde rapidement par-dessus son épaule qu’il n’y ait pas d’invité qui se soit perdu derrière lui, puis il m’attrape, et me fouille très vivement, en pressant bien partout, même là où c’est pas bien élégant. Il n’a pas plus d’égards envers Lettice. On a appris à ne plus être outrés de ça. Ce n’est pas une précaution qu’il « étend » à toutes les personnes qui entrent dans sa cabine, ça serait le meilleur moyen de faire fuir les invités, mais notre employeur est paranoïaque envers son personnel. Et je n’ai pas envie de tester sa patience en montrant le moindre signe de résistance.

On entre. On ferme derrière nous. Moi et Lettice nous lançons un dernier regard de peine mutuelle. Puis on inspire très fort, et on se met au travail, sans se parler, parce qu’on est maintenant bien synchronisés et on sait tout ce qui doit être fait ; on a été suffisamment punis par le maître d’hôtel pour chaque manquement.

On change les draps. On retire les bougies qui ont trop coulé leur cire. On débarrasse les verres pour en mettre des neufs, avec un petit coup de serviette pour retirer la poussière. On enlève la bouteille entamée, on éponge la condensation sur la table basse. On fait en sorte que le « salon », où il reçoit du monde, soit impeccable. C’est franchement pas le plus difficile.

Ensuite, on entre dans la chambre. Très, très lentement, sans oser heurter trop fort la poignée. On marche comme des renards, à l’intérieur. Ça pue. Ça pue les huiles essentielles qu’il faut répandre dans l’air pour contrer les miasmes et apaiser son sommeil, et ça pue l’opium, qui infecte. Il fait noir, parce que tous les rideaux, épais, ont été tirés à leur maximum, pour ne surtout pas laisser entrer la lumière.
Elle et moi posons les deux genoux aux pieds du lit à baldaquins, avec sa voilure tirée. Et derrière la-dite voilure, on entend une lourde respiration, saccadée, gutturale, de quelqu’un qui a l’air de faire une apnée. On espère qu’il va se réveiller tout seul.
C’est pas le cas.
Alors cette fois-ci c’est au tour de Lettice, on s’arrange pour intervertir tous les deux. Moi, je me lève, et me dirige vers le petit cabinet. Je trouve les concoctions, les bocaux, et je ne les ouvre pas — Harrowden est trop paranoïaque pour laisser quiconque toucher à ses traitements, surtout nous, alors il faut absolument que tout soit scellé, qu’il puisse se servir lui-même. Moi je me contente de préparer le plateau, de poser un verre, et ensuite, de sortir avec, pour aller dans la petite salle d’eau en face, afin de lui servir de l’eau bien fraîche. Dans cette même pièce, je trouve son rasoir, une serviette, quelques produits pour se faire beau. Je passe un petit moment là-dedans, pour laisser le temps à monsieur d’être réveillé par Lettice.

Il n’est pas le genre de personne qui aime être réveillée. Et surtout pas en recevant juste des petits coups sur l’épaule. Il déteste être tiré de son sommeil, lourd et difficile. Alors, il faut lui rendre cette épreuve agréable.
C’est à ça qu’on sert.

Au bout de plusieurs minutes, Lettice entre dans la salle d’eau. Ici il y a de la lumière ; je vois rapidement le maquillage qui a coulé de son visage, ses cheveux en pagaille, son regard fuyant. Je lui dis rien, la dépasse, et entre à l’intérieur.

Lord Reynor est assis, nu, comme les Dieux l’ont fait. Il donne pas envie à voir. Il est petit et grassouillet, mais c’est pas ça qui est répugnant.
Ce qui est répugnant, c’est qu’il est couvert de chancres. Partout. De gros trous, des ulcères, sur son torse, ses bras, son entre-jambe. Son visage est déformé, tuméfié. Il donne envie de vomir.
Mais il a encore une voix. Puissante, dure, grave. Une voix de basse, qui résonne. Une voix digne de commander des hommes.

« Habille-moi simplement. Ce soir je veux simplement voir le médecin, puis je travaillerai.
– Oui, monseigneur. »

Je lui pose le plateau. Il se drogue tout seul, en maîtrisant bien les substances, alors que je vais derrière le lit fouiller sa garde-robe.
Je tire une chemise à la manière des Telmar, un long voile à enserrer autour de sa tête, et un large masque avec des fêlures pour les yeux. Je pose tout sur une chaise, en faisant très attention à ce que ce ne soit pas froissé.
Puis je le parfume, je rase soigneusement les poils qui poussent sur son visage, et je l’habille. Le temps que ses remontants fassent effet, il a retrouvé une certaine dignité : il se tient bien droit, bien haut, et marche normalement.

Et il présente au monde un nouveau visage.


Spoiler:


« Vous serez agréables avec le docteur. Vous lui avez bien préparé sa cabine ? »

Je suis étonné. Il demande la confirmation d’un ordre qu’il a déjà donné. C’est pas bon signe. Reynor Harrowden est le genre de personne qui ne se répète jamais. Jamais. Lorsqu’il dit quelque chose, la chose est faite. Il pourrait dire « je veux que vous marchiez sur la lune » à un de ses mercenaires, que le type ferait tout pour être éjecté là-haut — quitte à en mourir.
Il est nerveux. Il le montre pas, mais visiblement, la visite du médecin le rend plus humble que d’ordinaire.

Je trouve un moyen très diplomatique de répondre :

« Comme selon vos désirs, monseigneur. »

Je peux pas répondre évidemment, ou un autre truc du genre. Il faut toujours rappeler que c’est lui qui contrôle la situation.
Je ne veux pas qu’il pense quoi que ce soit d’autre. Il est capable de colères épouvantables quand il est en rogne.

Le « docteur », c’est un médecin venu de Neidrag. Elle a été invitée à bord, par une des filles de Reynor. Le docteur serait un jeune prodige, d’après ce que j’ai compris.
Harrowden est vieux. Il n’a plus longtemps à vivre. Mais au lieu de préparer sa succession entre ses héritiers, il veut repousser indéfiniment son trépas.

Ça m’arrange pas. Je voyais sa santé déclinante avec joie. Combien d’années une docteure de Neidrag peut faire durer ce gros porc ?
Ludgar FitzEleanor
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Liv
Re: [Flashback - 1617] D'abord, ne pas nuire [Ludgar, Liv] Lun 23 Mai - 19:29






ne pas nuire






Un navire avait accosté au port récemment. Je ne saurais pas trop dire de quel genre il pouvait bien s’agir. Je n’avais trouvé aucun intérêt à aller le regarder. Il n’amenait aucun malade, il était là pour les récoltes. Rien ne poussait sur ses plateformes flottantes. Pourtant je ne semblais pas pouvoir éviter d’y penser. Un fermier racontait à je ne sais qui sous la fenêtre du dispensaire qu’il n’avait jamais vue un tel navire. Et bla bla bla qu’il était long et bla bla bla qu’il flottait bien. Il flottait bien! C’était bien la moindre des choses qu’il ne coule pas! Il travaillait dans les champs, pouvait voir des choses merveilleuses comme la croissance des plants et il s’émerveillait qu’un bateau… flotte.
Je secouais la tête pour sortir l’ignorant de mes pensées, il ne vivait pas vraiment près de la source. C’était un des fermiers, sa vie était plus courte, il ne connaissait pas son histoire. Il  s’émerveillait de choses frivoles. Grand bien lui fasse.

Je finissais donc mes décoctions, chassant de mon esprit bateau et fermier. Pourtant, le satané visiteur flottant n’allait pas m’accorder la tranquillité avant longtemps.

La vieille, une femme d’un âge indistinct au visage plus fripé que le temps, entra sans cérémonie dans la salle des herbes. Elle ne travaillait normalement que le soir, se plaignant que le soleil perturbait son travail. Sa présence à cette heure était incongrue.

La vieille marmonna une histoire de bateau, encore et toujours ce truc, de client, de ressource et finalement, de ses mains racornies elle déposa un épais document. Je souris, voilà que ce rafiot me semblait un peu plus attrayant. Un malade donc. Je frôlais les pages du dossier ma curiosité éveillée.
Le dernier rapport, sur un papier luxueux, couvert de plusieurs lignes d’une petite écriture penchée. Je parcourais des yeux les phrases de ce charlatan qui semblait dépassé par la maladie de son patient. Non, plus que de l’incompétence c’était plutôt un mélange de peur et de dégoût. Sa main avait tremblé quand il avait donné son verdict, l’individu concerné était condamné. Si cette liasse de papiers avait atterri sur mon secrétaire, c’est que cette conclusion n’avait pas plu au malade.

Selon l’homme, la maladie est trop avancée.

Il va mourir ?

La vieille avait posé cette question comme si elle se renseignait sur la couleur du pissenlit.

Comme nous tous, la vieille… comme nous tous.

Tu refuses dans ce cas?

J’ai dit qu’il allait mourir, je n’ai jamais dit qu’il n’était pas intéressant.

Je lançais un regard dans la pièce pour m’organiser mentalement. La vieille ne semblait pourtant pas ravie de ma réponse.

Je vais prendre la grosse pharmacie, il faudra prévenir l’ancien qu’il va falloir un autre médecin pour terminer ma veille.

Elle grogna un oui et je lui embrassai le front.

À plus tard.



Cela aurait été un mensonge de nier qu’il flottait bien. Le paysan avait raison c’était ma seule réflexion lors de l’embarquement. La cabine est confortable… même un peu trop pour un simple médecin tel que moi. Le décorum des fortunés me surprend à chaque fois que je repars en voyage. Je ne vais pas me plaindre, l’opulence de ce bateau tien les rats a distance. Il ne faudrait pas effaroucher les riches occupants n’est-ce pas?

On m’a escorté jusqu’à ma cabine avec la plus grande prévenance, s’excusant du retard pour des rafraîchissements. Les autres voyageurs se prélassant avant leur nuit de plaisir, les employés sont encore dans leur préparation pour le service à venir.

Une fois courbette et pichet d’eau délivré on me laisse seule. Le temps de lire est arrivé. Je passe d’une page à l’autre, notant personnellement ce que je trouve pertinent. Si certains semblaient connaitre la médecine, d’autres semblent sortir d’une caverne. Des notes gribouillées, des observations vagues et sans importance. Je classe ce qui semble pertinent et regarde avec déception la pile de papiers gaspillée. Au moins, j’ai maintenant une motivation démentielle, le cas est intéressant, très intéressant. Après un long moment je retrouve un semblant d’historique, je reconstitue morceau par morceau l’histoire de la pathologie. Pour poursuivre il ne me manque que le patient.

Je n’attends pas très longtemps, les minutes ayant disparues dans le défilé de phrases et d’organisation.

On m’offre plusieurs cartons. Je ne cherche pas à questionner. Mon accoutrement ne change en rien mes compétences. Si l’on doit me draper plus élégamment pour ne pas déranger le décor cela me convient.

La tenue est sombre, un pantalon plutôt court qui bouffe aux hanches, et en dessous un collant épais pour couvrir les jambes. Même les bottines sont fournies, noires et montantes… à ma taille. Je les regarde me faire parfaitement, ma présence était de toute évidence plus que planifiée. Une longue cape à capuche s’ajoute à l’ensemble. Puis je les déplie, de long gants noirs, ajustable. J’écarte les doigts et les referme, une bonne matière. Puis comme la note finale d’un concert, emballé dans de la soie, un masque au bec d’oiseau. Parodie oisive de nos masques traditionnels.

Spoiler:

On s’annonce à ma porte, je rassemble les papiers utiles et ma mallette, puis je fixe le masque.

Le valet me sourit avenant, m’offre de porter mes effets, je refuse d’un signe de tête. Il m’invite à le précéder, me fais passer près de riches voyageurs aux airs supérieurs. Ils me saluent d’un signe de tête, un regard sur ma taille, un sourire de connivence comme si je partageais un secret délicieux avec eux. Je souris sous ma capuche, un simple accoutrement et ils s’imaginent que je suis des leurs. L’idée même m’exècre, une vie si vide, j’imagine leur corps souillé, aucun respect pour la vie.

Puis plus loin, un jeune serviteur me bouscule sans le vouloir. Un simple accrochage, rien de terrible. Le valet l’invective et le calotte derrière la tête. Je lève la main, cela suffit. Le pauvre hère me regarde apeuré, même le valais semble avaler péniblement. Il attend mon verdict, l’homme l’a puni en espérant que je laisserais passer. Je claque de la langue exaspérée, je fais deux pas vers le jeune homme apeuré. Sa peau est blême et suintante.

Cet enfant ne doit pas servir dans cet état, est-il fiévreux ou terrorisé?

Tu ne devrais pas rester sur ce pont…

Ma voix toujours base et peu harmonieuse, mais amicale, enfin je crois.

Qu’il retourne dans ses quartiers, votre employeur nous attend allons-y

Les deux serviteurs se dévisagent un quart d’instant, le plus jeune s’empresse de partir se terrer ailleurs et le valet m’indique le chemin à suivre. Nos pas nous mènent devant une double porte. Un homme d’une taille indécente monte la garde tel un cerbère attentif. Pourtant en me voyant arriver il ne montre pas les crocs, il me salue avec politesse. Enfin, plutôt ce qui a son échelle doit être de la politesse. Cela me semble incongru, pas de regard méfiant, pas de recul, puis je me souviens de cet accoutrement luxueux.

Comme c’est étrange comme un peu de tissu semble influencer la valeur d’une personne.

Le dénommé Arundel, frappe à la porte avant de m’annoncer. Il n’est décidément pas taillé pour servir de valet de porte.

On m’ouvre, m’invitant à pénétrer dans ce qui ressemble à une suite luxueuse. Personne ne semble décider à me suivre dans cet opulent salon, comme pour confirmer ma pensée les doubles portes se referment dans mon dos.

La luminosité ici contraste par son absence. Comme si la pièce tardait à s’éveiller, pourtant tout semble à sa place, en ordre. Des chandelles intactes, des surfaces immaculées. Heureusement, je ne me perds pas en contemplation plus longtemps, un ombre massif se découpe dans l’encadrement d’une porte. Mon patient est entré.

J’incline un peu la tête, je ne sais pas être sophistiquée, même déguisée je ne suis au service que de la médecine.

Vous devez être lord Harrowden, je vous présente mes hommages.

Je m’avance et dépose sur un meuble le dossier de l’homme devant moi. Richement vêtu, un masque doré sur le visage, des étoffes somptueuses le couvrant. Nous nous faisons face masqué lui et moi, cela ne m’importune pas, mais les masques devront tomber pour que nous commencions.

Son visage suit un instant le mouvement de ma main qui pose le dossier, puis se retourne pour observer ma trousse.

Bienvenue sur le SY Ouroboros docteur.

Ni plus ni moins, c’est le signal que je peux commencer, enfin je crois.

Il s’avance et se pose sur les coussins d’un élégant sofa. C’est à ce moment que je les vois. Deux gamins, enfin petits adultes. Une fille et un garçon. Il ne porte pas la livré des serviteurs, mais mon hôte ne m’a pas présenté. Je relègue donc cela à plus tard.

J’ai parcouru les rapports de mes prédécesseurs, je tapote d’un doigt les papiers. Mais le dernier rapport me semble lointain, il nous faudra donc éclaircir ensemble quelques points.

Je ne lui demande pas si cela lui convient, je sais ce que je dois faire.

Il va nous falloir plus de lumière,

Je m’avance et prends place en face du seigneur qui de son côté prend un moment et finalement ne fais qu’un signe sec aux deux inconnus ramassés près de la porte de chambre.

J’aimerais voir votre traitement actuel, vous marchez ce qui doit dire qu’il vous apporte un certain réconfort. Mais je préfère vérifier par moi-même.

La gamine me lançait un regard imperceptible comme si elle était épouvantée que je demande à toucher aux précieux traitements de l’homme.

Puis bien entendu, il va me falloir vous examiner.

Je devais voir les dommages qu’avaient causés les traitements précédents. Et surtout les dissocier de la maladie, il avait paraît-il collectionné les traitements dans une quête acharnée de s’accrocher à la vie.

Il allait devoir retirer ses habits et ses parures, coup dur car dénudé nous n’étions que des corps.

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Zuiichi - Never-Utopia

Liv
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Ludgar FitzEleanor
Re: [Flashback - 1617] D'abord, ne pas nuire [Ludgar, Liv] Mar 24 Mai - 0:04

Le temps que le docteur arrive, il n’y a pas de chômage entre moi et Lettice. Il y a toujours quelque chose à faire, un moyen d’occuper ses mains et ses yeux ; remettre en place des chandelles, vérifier que le vin dans les placards est toujours bien posé comme il faut, refaire le lit de monsieur…
…C’est pas parce qu’on est zélés. C’est parce que c’est mieux de toujours avoir l’air occupé, même par une tâche parfaitement futile. Être oisif, c’est risqué d’être appelé par le Lord, et essayer de remplir un de ses besoins.

La Sirène soit bénie, plus le temps passe, et plus Reynor est en train de dépérir. Ses nuits se font de plus en plus longues, ses instants de travail de plus en plus courts, ses doses d’opium de plus en plus fréquentes. Il n’en a plus longtemps à vivre. Là, actuellement, il est debout, droit comme une statue, et il fixe des yeux la porte droit devant, fixe, l’air impavide — mais en réalité, totalement crispé. J’échange un regard avec Lettice, qui a refait ses cheveux et s’est lavé le visage ; elle hoche la tête d’un air satisfait.

La porte s’ouvre. Je sursaute, en voyant que c’est Miles Arundel. Il arrive, opine du chef, dit juste :

« Madame le docteur est ici. »

Reynor lui fait un signe de la main. Le gorille dispose, invite la dame à entrer, et ferme derrière lui. Et se présente à nous, une petite dame avec des cuissardes à talons, une culotte bouffante, et un étrange loup derrière lequel camoufler son visage — un faux bec d’oiseau, à la manière des gens de Neidrag.
C’est Lettice qui lui a préparé sa tenue, alors que moi-même lui ait préparé sa chambre. Lettice est forte pour les costumes, c’était une ancienne couturière ; pas juste une fille qui trime au milieu des aiguilles pour une mauvaise paye, nan, elle était dans une maison réputée. Je regarde ma comparse qui observe le docteur : elle a les yeux qui pétillent, elle dévore du regard la nouvelle arrivante. Elle est heureuse de la voir bien porter un vêtement qu’elle a préparé.

C’est pourtant une très mauvaise nouvelle pour nous, l’arrivée du docteur. Tous les deux, nous nous écartons de côté, mains dans le dos, têtes baissées, et on laisse le médecin faire son œuvre.

Reynor va s’asseoir en face d’elle. Sans une politesse, sans un mot perdu hormis son hommage qu’elle présente, elle commence à raconter qu’elle a lu son dossier. Elle exige de la lumière — Reynor me regarde, alors je me dirige en trois pas vers le hublot d’où je tire les rideaux. Elle demande à voir les traitements — là, il regarde Lettice, alors la jeune fille s’en va vers la chambre à coucher, et revient vingt secondes plus tard avec le plateau sur lequel on trouve tous les médocs.

Elle dit alors qu’elle veut l’examiner. Silence gênant, et long. Lord Reynor la regarde tout droit — ses grands yeux gris sont la seule chose qu’elle peut percevoir de son patient.
Et finalement, il se remet à parler, avec sa grosse voix rocailleuse, un peu grésillante.

« Vous pouvez parler et agir en présence de ces deux-là. Ils sont dans ma confidence. »

Il dit ça parce que, quelques fois, la doctoresse nous a jeté un regard. Juste un regard, même pas un mot, même pas une réflexion ; il faut dire que ça doit être bizarre. Deux personnes qui sont pas ses enfants, ni ses employés, comme ça dans sa chambre ? Et on reste plantés là, penauds, avec le regard fuyant ?
Avec Reynor Harrowden, faut vite pas relever les choses glauques.

« Ma maladie est ancienne. Autrefois je la traitais avec du mercure — cela a marché. Pendant un temps. Les symptômes avaient disparu.
Cela fait quelques mois qu’ils sont revenus, avec une force tout à fait… Particulière. »


Qu’est-ce que le docteur va trouver sur le plateau ? Essentiellement de l’opium, des antidouleurs, des crèmes, des gouttes. Reynor est un laboratoire d’alchimie sur pattes ; il a un traitement pour l’aider à dormir et l’ensuquer, et à l’inverse des pilules excitantes pour lui permettre de travailler et de marcher dans tous les sens. Il est chargé comme un mulet, il a été obligé de supprimer l’alcool de son alimentation pour pas trop le détruire, sur les conseils de son précédent physicien — le manque de vinasse le rend d’autant plus inamical.

« Mes drogues me permettent d’être plutôt productif, mais je dois augmenter les doses. C’est palliatif, ça soigne les symptômes, pas le mal en lui-même.
Vous savez pourquoi mon physicien n’a pas voulu soigner mon mal : il est persuadé que la science en est incapable. »


Il prend une grande inspiration. Il me regarde.

« Déshabille-moi. »

Là, le docteur risque de trouver ça carrément bizarre. Mais c’est moi qui vais derrière le sofa, dans le dos de lord Reynor. Je lui retire son voile, je tire doucement sur le vêtement du dessus pour laisser ses épaules nues. Mais c’est lui-même qui fait l’effort d’enlever son masque.


Spoiler:


Nouveau silence.

Même nu, même avec toutes ses marques, Reynor ne change pas d’attitude corporelle. Mains sur les genoux, buste élevé, il regarde bien son interlocuteur dans ses yeux — c’est un homme qui ne tolère pas d’être plaint, ou d’être vu comme faible.
C’est important, dans un boulot comme le sien. C’est ça qui fait qu’il est encore en vie.


« Docteur, soyons francs ; vous n’êtes pas venue sur ce navire si vous pensiez me dire que je n’ai pas un bon pronostic.
Ma fille vous a recommandé à moi, car vos collègues à Neidrag vous décrivent comme… Obstinée.
J’ignore si c’était un compliment dans leurs bouches. Ça en est un dans mes oreilles. »


Il marque une pause. Il joue sur les sentiments, souffle chaud et froid à la fois.

« Mes ressources sont virtuellement illimitées. Je suis un homme riche, et influent. J’ai des contacts dans toutes les cités d’Alqara. Les meneurs de Corail et les aristocrates de Tel-Maktesh connaissent mon nom.
Ce que je peux vous offrir, est immense. Il n’y a aucune requête de votre part que je ne puis satisfaire. Absolument. Aucune. »


Il s’avance un peu dans le sofa. Lentement, trèèès lentement, à la manière d’un paresseux.

« Je peux vous offrir vos désirs, à une condition : que vous ne me mentiez pas. Je ne suis pas un grand érudit en médecine, mais je sais lire dans l’esprit des gens. Je n’aurais pas gagné un sou dans ma vie si ça n’avait pas été le cas. »

Lettice, à mes côtés, s’est éloignée. Je tente de subtilement la retenir — qu’est-ce qu’elle est en train de foutre ?

« Alors, répondez à cette question :
Est-ce que vous pensez être en mesure de vaincre le mal qui me ronge ? »

La servante a ouvert une petite armoire. Elle s’est saisie d’un verre, et d’une bouteille. Je suis figé sur place, alors qu’elle va, dans la propre cabine de son maître, essayer de lui faire du mal, de le meurtrir d’une façon fort originale.

Elle va juste devant le médecin, et tend la bouteille :

« Madame désire-t-elle un verre ? Celui-là est servi à la cour royale Telmar. »

Lettice a une bouteille de grand cru à la main, le vin préféré de Reynor Harrowden ;
Et ça va faire quatre mois qu’il n’a pas bu une goutte d’alcool.
Ludgar FitzEleanor
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Re: [Flashback - 1617] D'abord, ne pas nuire [Ludgar, Liv] Mar 24 Mai - 1:54






ne pas nuire




Le garçon s’occupe de rendre un peu de lumière à la cabine, cela me permet de voir l’autre venir me déposer une multitude de flacons.

« Vous pouvez parler et agir en présence de ces deux-là. Ils sont dans ma confidence. »

Hum? Ah, pour plus de présentation on repassera. J’hoche de la tête, c’est compris. Je note mentalement qu’il a réussi à prononcer cette phrase à peu près normalement, pas de quinte de toux, le timbre est resté pour sa part relativement stable.

« Ma maladie est ancienne. Autrefois je la traitais avec du mercure — cela a marché. Pendant un temps. Les symptômes avaient disparu.
Cela fait quelques mois qu’ils sont revenus, avec une force tout à fait… Particulière. »


Je garde un œil sur lui, puis écoutant son récit j’ouvre, je sens, j’observe, j’examine son apothicaire personnel. Je retiens mon tic en entendant qu’il a pris du mercure. Mais cela n’est pas plus étonnant que l’étalage devant moi.

Un opiomane, si le sevrage n’était pas si difficile je l’aurais déjà balancé par-dessus bord. Mais l’homme devant moi n’y survivrait sans doute pas. Enfin si son dossier est adéquat.

Pour l’instant, sous son masque je ne perçois que son regard, une mydriase aréactive et symétrique, j’en déduis donc que sa dernière dose d’opium n’est pas si récente, non il semble plutôt sous l’effet d’un puissant stimulant. Je regarde une fois de plus le plateau. Oui le voici. Encore un regard a l’homme masqué. La lumière de la cabine n’a toujours pas fait rétrécir ses pupilles.

« Mes drogues me permettent d’être plutôt productif, mais je dois augmenter les doses. C’est palliatif, ça soigne les symptômes, pas le mal en lui-même.
Vous savez pourquoi mon physicien n’a pas voulu soigner mon mal : il est persuadé que la science en est incapable. »


Il ne s’arrête de parler que pour fixer son regard sur le jeune homme au regard fuyant.

Je penche la tête un peu, difficulté à se déshabiller seul ou caprice de riche? L’un est un symptôme, l’autre une idiotie.

« Déshabille-moi. »

Dans tous les cas le jeune homme s’exécute. Couche après couche il dévoile un corps rongé par la maladie. Le retrait du masque est sans doute l’étape la plus remarquable. Un cas fascinant réellement. Mais rien de nature à me faire frissonner, ni même sourciller. Il ne fait aucun cas de sa nudité, pour ma part cela me facilite les choses.

« Docteur, soyons francs ; vous n’êtes pas venue sur ce navire si vous pensiez me dire que je n’ai pas un bon pronostic.
Ma fille vous a recommandé à moi, car vos collègues à Neidrag vous décrivent comme… Obstinée.
J’ignore si c’était un compliment dans leurs bouches. Ça en est un dans mes oreilles. Mes ressources sont virtuellement illimitées. Je suis un homme riche, et influent. J’ai des contacts dans toutes les cités d’Alqara. Les meneurs de Corail et les aristocrates de Tel-Maktesh connaissent mon nom.
Ce que je peux vous offrir, est immense. Il n’y a aucune requête de votre part que je ne puis satisfaire. Absolument. Aucune. »


Il est correct d’affirmer que je suis obstinée, j’aime comprendre et l’abandon ne réussit pas à l’apprentissage. Mais si son cas est intéressant, lui par contre est d’un ennui mortel. Il semble vouloir m’acheter comme il s’achète du temps à base de remèdes.

Je n’ai aucune envie ni intention de répondre à cet appât obscène de pouvoir et de richesse. J’attends simplement qu’il en vienne au fait que je puisse travailler. Mais je souris, froidement, j’attends, car provoquer la colère de ce genre d’individu complique toujours tout.

Je le vois se traîner de quelques centimètres sur son séant pour s’approcher, semblant prêt à me faire une confidence.

« Je peux vous offrir vos désirs, à une condition : que vous ne me mentiez pas. Je ne suis pas un grand érudit en médecine, mais je sais lire dans l’esprit des gens. Je n’aurais pas gagné un sou dans ma vie si ça n’avait pas été le cas. »

Si l’on omet encore cette histoire de désir, nous tombons enfin dans le vif du sujet.

« Alors, répondez à cette question :
Est-ce que vous pensez être en mesure de vaincre le mal qui me ronge ? »


Je repousse les documents plus loin. Je m’apprête à lui donner sa réponse. Mais la jeune demoiselle qui m’avait d’abord apporté le plateau est de retour près de moi.

« Madame désire-t-elle un verre ? Celui-là est servi à la cour royale Telmar. »

Son timing est pour le moins intéressant. Est-ce un mouvement d’impatience que je devine du côté de mon patient?

Ton nom?

Lettice Madame…

Eh bien je te remercie Lettice, malheureusement, je ne suis pas amatrice d’alcool. Mais je t’en prie, installez-vous ton camarade et toi pendant que monsieur le lord et moi-même poursuivons. Je vais peut-être avoir besoin de vous éventuellement et je ne sais pas combien de temps cela prendra.

Sur ses mots elle reculait d’un pas puis de deux. Elle semblait… déçue?  Pour faire bonne mesure je lui souris. Cela mettait les jeunes gens à l’aise non?  

Puis délicatement je détachais la somptueuse cape, et retirai mon masque. Je posais le tout délicatement  sur le côté du fauteuil. Mon visage devait sembler presque normal à côté de celui de l’homme. Mes plaies à moi n’empestaient plus la pourriture… et j’avais encore mon nez.

Je ne m’attardais pas pour voir l’effet de mon dévoilement sur mes interlocuteurs, il était temps de donner une réponse.

Lord Harrowden, une chose est certaine, je ne vous mentirais pas. Comme vous l’avez soulevé je peux me montrer obstiné, je ne suis donc pas ici pour vous conforter par des promesses creuses. Aussi, ce que je vous dirai ne vous palliera pas toujours. Et cela commence à l’instant.
Je ne peux pas savoir dès maintenant si mon aide vous sauvera, mais je peux vous assurer que je connais mon travail. Et que je suis votre meilleure option.


Je me redressais un peu, je n’allais pas lui laisser le temps de me demander des certitudes.

Tout d’abord, d’après ce que vous me dites le mercure semble vous avoir soulagé. Cela laisse deux possibilités. La première que c’est bel et bien le mercure qui a tenu la maladie à distance un moment, peu probable.

La seconde, est que vous souffrez d’une maladie qui progresse en étape.

Je ne blâme pas le médecin qui vous l’a prescrit. Vos symptômes sont de ceux qui peuvent être associés à une parasitose. C’est-à-dire une maladie causée d’abord par la présence d’un parasite dans votre organisme. Le mercure est très populaire dans les régions désertiques pour traiter ce genre d’affection. Malheureusement pour vous, le mercure n’a été utile en aucun cas. Ce que décrit le médecin d’il y a quelques années comme étant une réponse immunitaire aux traitements n’est en fait que la réaction a un empoisonnement au mercure. Il est heureux que votre maladie soit entré dans sa période de latence sans quoi les dégâts causés par le traitement auraient rongé votre corps plus vite que la maladie.


Je me relevais histoire de me rapprocher et de prendre sa main pour l’examiner.  Des cicatrices de la roséole la marquaient, alors que déjà d’autres plaies s’ouvraient. Je m’éloignais de nouveau pour noter deux trois observations.

Allongez-vous sur le dos.

Ma voix n’était pas forte, ni brusque, ni menaçante. Elle ne faisait que dicter ce qui devait être fait.

Il ne bougea pas, son système auditif avait-il subi des lésions?

[color:c7ab=#336699]Je dois examiner votre appareil génital, allongez-vous sur le dos.

Je me retournais pour ouvrir ma trousse j’en sorti un linge immaculé, puis une fiole.

Il me faudrait une bassine d’eau propre et du savon… non plutôt une cruche et une bassine oui oui, merci.

Je ne m’adressais pas à quelqu’un en particulier. Peu m’importait qui s’en chargeait.

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Dernière édition par Liv le Lun 30 Mai - 21:07, édité 1 fois
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Ludgar FitzEleanor
Re: [Flashback - 1617] D'abord, ne pas nuire [Ludgar, Liv] Mer 25 Mai - 19:26

Le docteur retire sa cape. Très discrètement, je ferme les yeux et réprime l’envie de soupirer ;
J’ai oublié de lui proposer de la soulager de son pardessus. C’est une politesse élémentaire. J’espère qu’on va pas m’en tenir rigueur.
En tout cas, sans son masque, elle se dévoile à nous. On fait pas de commentaires, bien évidemment, mais j’observe l’œil de Lettice pour essayer de deviner sa réaction. Je ne vois rien dans ses yeux, alors j’ai plus qu’à réfléchir par moi-même ; la jeune femme a des stigmates, des sortes de marques étranges dont j’essaye de deviner la cause.

Ça occupe ma cervelle, parce que le docteur est occupé à son office et donc moi et Lettice ne servons que de plantes vertes. Elle utilise un tas de mots dont je crois savoir la définition, ou la deviner (Parasitose, ça fait penser à parasite quoi), mais ça satisfait pas ma curiosité autrement plus franche : est-ce que Reynor Harrowden va crever, oui ou non ? Une partie de moi est rassurée quand elle refuse d’être certaine qu’elle lui sauvera la vie, mais qu’elle jure qu’elle fera tout ce que sa science lui permet, ça me remue l’estomac.

Elle réclame une bassine. Normalement, seul moi ou Lettice quittons le lord pour pourvoir à ses demandes matérielles, mais puisqu’elle est là, on a l’excuse parfaite pour filer à l’Harborienne et retourner dans la salle d’eau — j’ai franchement pas besoin de voir la bite à sire Harrowden plus que je ne l’ai déjà fait. Et qu’il le veuille ou non, le seigneur va bien devoir finir par s’allonger et se laisser faire, pour une fois que ce n’est pas lui qui décide, on en tirerait presque une vengeance sadique…




Le robinet coule. Ça fait du bruit. Et le temps que la cruche se remplisse, on a quelques secondes d’excuses pour qu’on puisse parler, elle et moi. C’est ça qu’on développe depuis des semaines, ensemble — des stratégies pour conspirer, pour grappiller quelques instants où on peut évacuer, se soutenir, et se préparer.
En l’occurrence, je l’engueule, à cause de la petite scène du vin :

« Qu’est-ce que tu fous ?! T’as envie qu’il te punisse ?!
– Devant le docteur, oui.
– Pourquoi, tu crois qu’elle va avoir pitié de toi ? Elle a pas été choisie seulement parce qu’elle est compétente — c’est probablement autant une salope que tous les autres passagers. »


Ma camarade me regarde droit dans les yeux, avec ses pupilles brillantes par la colère — et aussi par la tristesse, mais ça c’est normal, son regard est toujours triste.

« Si elle le sauve, elle…
– Elle le sauvera pas ! Le gars est un mort-vivant sur pattes.
Lettice, regarde-moi ; on ne change rien à ton plan, d’accord ? Je m’occupe du lord. Tu t’occupes de son coffre. »


Alors qu’elle a les mains plongées sur le lavabo, je vois ses doigts en train de trembler. Et elle refuse de me regarder.
Il faut pas qu’elle pète les plombs. Pas maintenant. Alors je lui attrape le bras ; elle recule vivement pour se délivrer, lève ses mains pour se défendre ; je lui attrape les poignets, pour l’empêcher de se débattre, et je répète, d’une voix plus ferme :

« C’était ton idée.
Tu arriveras à ouvrir son coffre ? »


Elle hoche de la tête très vite pour affirmer.

« Alors je te jure, je te jure que je m’occupe de Reynor. »

Elle prend une grande inspiration. Se détend. Et comme au théâtre, elle reprend son rôle d’actrice, en camouflant toutes ses émotions.
Et on peut revenir voir le docteur avec sa cruche, sa bassine et son savon.



On est pas des victimes, elle et moi. On est pas parfaitement innocents. On a pas été kidnappés dans les rues de Misty Harbor pour se retrouver dans l’ombre de Reynor Harrowden. Quelque part, peut-être qu’on mérite tout ce qui nous est arrivés, je suis sûr que quelques prêtres de certains Dieux nous le diraient : bien fait pour vous. On a été attirés ici, par l’appât du gain, par l’avidité, comme des papillons de nuits qui vont se griller contre une ampoule brillante.
Reynor Harrowden est riche. Il est le créancier du roi de Tel-Makhtesh, il fait assaillir les barques de Cité-Corail pour voler leur pêche, il forme des cartels secrets avec d’autres marchands pour les empêcher de proposer de meilleurs prix aux habitants de Falaise — c’est un déchet humain, et Lettice et moi, en bons citoyens de Misty Harbor, on ne pouvait que l’admirer. Quelle chance on avait, de servir dans la mesnie de quelqu’un comme ça ; il pourrait assurer notre avenir, nous filer du fric et un statut, et si pour ça fallait nettoyer ses carreaux et le sucer de temps à autre, franchement, c’est mieux qu’un tas d’autres boulots. Mieux vaut ça que bouffer du biscuit remplit d’asticots en étant un matelot, ou bien s’écorcher les doigts et dormir dans un lit plein de puces au-dessus d’un atelier de couture.

On sait qu’on y survivra pas. Il faut que Reynor Harrowden meurt avant nous. Mais une fois qu’il cessera de respirer, on nous laissera pas sortir avec une poignée de main et un contrat de licenciement. Reynor Harrowden est un vautour et un charognard : il a les amis et les proches qu’il mérite. Dès l’instant où il va mourir, ses capitaines, ses prêtes-noms et ses enfants vont se jeter sur son héritage, et s’entre-tuer pour avoir la part du lion.

Reynor Harrowden a un coffre. Une boîte fermée, où il garde les clés de son empire. C’est à nous. C’est notre salaire. C’est le dédommagement de toutes nos souffrances. Prendre une barque et se casser discrètement ? Non merci. Pas après tout ce qu’il nous a fait. On va pas juste le tuer. On va se gaver.

Il faut juste tenir. Il faut juste, tenir.



On attend pendant que le docteur termine sa longue consultation. Elle fait… Des trucs de médecins, ça me dépasse un peu. Tous ces bocaux, tous ces scalpels… Elle n’est pas juste là pour le soigner, elle est ici pour l’étudier. Je peux jurer que ses yeux pétillent, alors qu’elle prend des miettes de ses chancres. Qu’est-ce qu’elle compte faire avec ?

En tout cas, Lettice aide Lord Reynor à se rhabiller après une heure de consultation. Elle recamoufle son visage horrible sous son masque de métal. Et Lord Reynor grogne de satisfaction.

« Je suis entre vos mains, docteur.
À présent, si vous me permettez, j’ai des lettres à écrire. Je vous laisse profiter de vos quartiers. »


Il lève avec nonchalance la main pour indiquer la porte de la cabine. Je me lève, et vais l’ouvrir. Derrière, Miles Arundel parvient à me faire sursauter : le gorille est planté juste derrière, droit comme un « i ». Il semblait être prêt à défoncer la porte et intervenir s’il se passait… Quoi, exactement ?
Ce vaisseau est rempli de mecs comme lui. Harrowden est paranoïaque. Le navire est rempli de gardes-du-corps, de sbires, discrets, mais bien armés de revolvers et de poings métalliques. C’est difficile de leur échapper. Lettice et moi avons passé un long moment à les repérer parmi l’équipage. C’est un jeu de cache-cache permanent, auquel il faut s’entraîner.

Je lui fais un grand sourire, me retourne, et présente ma main au médecin :

« Docteur ? Je vais vous raccompagner à votre cabine. »

Lettice a ouvert un cabinet. Elle sort des encriers et des feuillets de papiers. Elle me fait un signe de tête approbateur, alors que j’accompagne le docteur à présent congédié.



On descend le long d’un couloir feutré, les bruits des talons du docteur étouffés par un élégant tapis Telmar qui recouvre le parquet d’ébène. Mains dans le dos, buste droit, sourire impeccable sur mon visage, je m’empresse d’engager la conversation, en essayant d’être le plus accorte possible — un moyen de rapidement l’étudier.

« Vous pouvez m’appeler Ludgar, docteur — vous désirez bien que je vous appelle par le titre docteur, ou bien préférez-vous un nom ? »

On nous a pas donné de patronyme. C’est juste le docteur pour ce qu’on doit en savoir.

« Je suis valet de chambre de milord Reynor. En tant qu’invitée privilégiée et personnelle de milord, vous êtes entre les bons soins de Lettice et moi le temps de votre voyage à bord — et pour la continuité de votre service dans sa mesnie. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, nous sommes là pour vous.
J’espère que vous appréciez votre tenue — Lettice l’a préparée rien que pour vous. »


Elle l’a mise, c’est déjà plutôt bon signe. Si ça lui plaît pas, je me prépare à subir une volée de bois vert. Ça serait pas la première fois.

On s’arrête devant sa cabine. Je la laisse ouvrir, pour pas avoir l’air envahissant. Et je me permets de lâcher une petite question innocente ;

« J’ai fait monter le reste de vos affaires ici… C’était beaucoup d’instruments fragiles ! À quoi vont-ils servir ? »

De ce que j’ai pu voir, y a des bidules et des machins qui ressemblent à de grosses lunettes pour voir de très très près. Et puis des verres minuscules et fins bizarres. Le genre de choses que j’ai déjà vu sur des imprimés d’alchimie. La frontière entre le magicien fou et le docteur en sciences est très fine.

Une fois dans sa cabine, je m’empresse d’entre-fermer la porte — je ne veux pas qu’Arundel m’épie trop, ou m’écoute même trop.
Mais on va y aller en douceur. Là, je garde toujours mon grand sourire bien ravageur de théâtre. Et je regarde le docteur droit dans ses yeux, en essayant de pas observer ses marques, de pas faire un geste des sourcils, d’adopter un air impavide — il faut que je me fasse une idée sur elle. Est-ce qu’elle va être une ennemie ? Ou une amie ?

« Vous n’êtes pas amatrice d’alcool, mais peut-être qu’il y a… Quelque chose, que je puisse faire pour vous ? »

Je prends le petit air rauque, avec une gêne feinte. Histoire de faire, comme si, comme si…
Ludgar FitzEleanor
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Re: [Flashback - 1617] D'abord, ne pas nuire [Ludgar, Liv] Lun 30 Mai - 21:13






ne pas nuire





Les deux jeunes personnes avaient semblé plus que d’accord pour me rendre service. Ils avaient filé sans rechigner dans l’autre pièce. Pendant ce temps, je m'attaquais à l’examen plus approfondi de mon patient. Certains en auraient sans doute été malades, mais à l’inverse de ces gens à l’estomac fragile, j’avais vu suffisamment d’horreur pour ne plus sourciller. Au contraire, ce cas somme toute avancé se révélerait sûrement intéressant pour mes recherches. Il ne fallait pas cracher sur ce qui pouvait faire avancer la médecine.

Mon eau arrive finalement, je remercie silencieusement ceux qui me l'ont fourni et je peux terminer mon examen. Je me désinfecte avec soin, range mes prélèvements pendant que la jeune Lettice aide mon patient à se rhabiller. Sans doute, aurais-je pu lui conseiller d’éviter de couvrir d’une façon trop étouffante ses plaies, mais au son de satisfaction qu’il laisse échapper une fois vêtu, je comprends que ce conseil serait accueilli froidement. De toute façon, cela ne servirait qu'à son confort personnel, cela ne soignerait en rien sa condition.


« Je suis entre vos mains, docteur.
À présent, si vous me permettez, j’ai des lettres à écrire. Je vous laisse profiter de vos quartiers. »


J’hoche la tête humblement à ses mots, sans prendre la peine d’y répondre verbalement. Sa phrase n’appelant aucune réponse, elle ne faisait que me signifier clairement que je pouvais prendre congé.

Le comparse de Lettice semble avoir compris la même chose, car il s’avance pour m’ouvrir la porte. Il sursaute en découvrant Arundel plus raide que la justice tenant sa garde juste derrière l'entrée. Il m’accorde un signe de tête respectueux, quand je le dépasse, ni plus ni moins.

« Docteur ? Je vais vous raccompagner à votre cabine. »

C’est bien aimable de sa part. Le valet s’étant évaporé lors de la consultation un guide pour retrouver ma cabine est plus qu’apprécié.

Je vous suis.

Je n’y connais pas vraiment les coutumes de ce grand monde, je suppose donc que sa main tendue m’indique son intention de m’escorter à bon port. Je joue donc le jeu.

Sur le chemin du retour, je ne recroise pas le serviteur fiévreux. Je note mentalement qu’une petite consultation ne lui ferait pas de mal.

« Vous pouvez m’appeler Ludgar, docteur — vous désirez bien que je vous appelle par le titre docteur, ou bien préférez-vous un nom ? »

Ce Ludgar semble déterminé à se montrer agréable se tenant et conversant d’une manière fort courtoise.

Ludgar et Lettice donc… Vous pouvez m’appeler par le titre ou par mon nom selon votre convenance. Je me nomme Liv.

Comme lui, je n’ajoute rien, pas de nom de famille, lui souhaite peut-être le garder secret, de mon côté, je n’en possède simplement pas.

« Je suis valet de chambre de milord Reynor. En tant qu’invitée privilégiée et personnelle de milord, vous êtes entre les bons soins de Lettice et moi le temps de votre voyage à bord — et pour la continuité de votre service dans sa mesnie. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, nous sommes là pour vous.
J’espère que vous appréciez votre tenue — Lettice l’a préparée rien que pour vous. »


On poursuit côte à côte le chemin, lui parlant et moi acquiesçant lorsque cela est nécessaire. Ils sont donc valets de chambre pour cet homme. Je note l’information dans un coin de ma mémoire pour l’examiner à loisir plus tard.

La tenue est très…

Comment décrit-on une tenue ? Je suis habituée aux tenues « pratiques», « robustes», mais cela ne me convient pas pour décrire celle de la jeune Lettice.

Saillante. Si vous pouviez transmettre mes compliments à la jeune dame, je vous en serais reconnaissante.

Sans doute, est-elle originaire de la cité Corail avec son sens de l’esthétisme.

Je ne pousse pas plus loin l’idée, car déjà, la porte de ma cabine est devant nous.
Ludgar en bon accompagnateur m’ouvre la porte en se glissant de côté pour me laisser la place.

« J’ai fait monter le reste de vos affaires ici… C’était beaucoup d’instruments fragiles ! À quoi vont-ils servir ? »

Merci.

Son attention semble s’être posée sur mes instruments de recherche et cela m’arrache l’un de mes rares sourires. La curiosité quand elle ne se pose pas sur autrui, mais sur l’apprentissage est particulièrement précieuse.

Je pénètre dans mes quartiers en l’invitant à me suivre. Ma cape déposée avec soin, je me retourne pour lui répondre, mais je constate qu’il me regarde directement dans les yeux. Je cligne des yeux deux-trois fois par surprise. Étrange garçon… Il ne semble pas mal à l’aise de me fixer ainsi. Mais en même temps, vu son employeur, c’est plutôt normal.

« Vous n’êtes pas amatrice d’alcool, mais peut-être qu’il y a… Quelque chose, que je puisse faire pour vous ? »

Je plisse les yeux pour le jauger, sa question précédente me plaisait bien plus. Là, j'ai un sentiment inconfortable. Celui qui me regardait sans sourciller fait maintenant une mine timide en me proposant… Enfin bon.

Je soupire et me laisse choir sur l’assise la plus proche. Je l’invite à faire de même.

Ce genre de… Service, de faveur, je dirais. Tu les accordes à cet homme ? Ton employeur. J’aimerais une réponse… Une réponse franche.

Je sens une sorte d’énervement me gagner, la réponse, j'ai bien peur de déjà la connaître.


Non, tu n’as pas l’obligation de me répondre. Sache simplement ceci, je n’ai aucun désir de ce genre.

Par ailleurs,



Je me masse les tempes, je suis déjà las de cette conversation.

Je marmonne tout bas ;
Si seulement tu t’étais contenté de t'intéresser aux instruments…

Puis, je reprend :

Oui, par ailleurs, à moins que vous ne souhaitiez contaminer d’autres personnes, je vous suggère fortement de vous faire examiner. Et cela… Avant de vous rendre à son état.

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Zuiichi - Never-Utopia

Liv
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Ludgar FitzEleanor
Re: [Flashback - 1617] D'abord, ne pas nuire [Ludgar, Liv] Ven 3 Juin - 15:51

Un prénom c’est déjà quelque chose. Faut pas forcément beaucoup pour créer un lien avec quelqu’un — du moins, faut essayer de se raccrocher à ce qu’on peut. Sourire, beaucoup sourire surtout, ça va bien se passer.


Alors que je suis dans sa cabine, prêt à gratouiller des informations sur l’état de milord, un seul mot pourtant minimalement équivoque me suffit à braquer le docteur. Tant mieux, en fait ; mieux vaut être prude qu’un minimum intéressé sur ce bateau. Et voilà qu’elle parvient à me faire paniquer en sous-entendant que l’affliction de Harrowden est contagieuse. J’essaye tant bien que mal de masquer la soudaine terreur, alors que, les mains dans le dos, je lui offre une moue et un sourcil relevé.

« Je lui rends les services qu’on attend d’un valet de chambre, Liv… »

L’air de dire, « à quoi est-ce que vous pensiez ? ». Mais inutile de l’insulter en insistant et en la prenant pour une conne — elle est très intelligente, Liv, juste, disons… Bah, heu, peut-être un peu brute dans ses propos ? Trop marrant, en fait.

« Mais j’ignorais que la… Faiblesse de milord pouvait être transmise à d’autres… Cela fait pourtant depuis des mois que Lettice est à son service, et elle ne me semblait pas malade…
Serait-ce abuser de votre patience que de demander un cours de médecine gratuitement ? »


Je lui fais un autre sourire amusé, alors que nonchalamment, je m’approche d’une des caisses qu’on a fait monter pour elle. À l’intérieur il y a une sorte de grosse loupe géante avec des molettes sous le « tube » où on place ses yeux. J’ai déjà vu des choses comme ça, je crois savoir comment ça fonctionne, mais pas tellement à quoi ça sert.

« Ce qui le tue est véritablement si petit ? »

Elle a demandé à voir sa bite, et rempli des tubes avec. Difficile de croire que quelque chose de si minuscule que c’est invisible puisse ruiner le corps tout entier d’un gros type comme Harrowden.
Lettice et moi sommes jeunes et en bonne santé. J’ose espérer qu’on puisse pas subir la même chose…
Ludgar FitzEleanor
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Liv
Re: [Flashback - 1617] D'abord, ne pas nuire [Ludgar, Liv] Dim 12 Juin - 19:08

Je lui rends les services qu’on attend d’un valet de chambre, Liv… »

Je le regarde avec son air consterné d’une demoiselle effarouchée par une insulte. Je suis peut-être vieille mon bonhomme, pas sénile. Et ce n’est certainement pas mon beau minois qui plutôt l’a poussé à me faire cette proposition hasardeuse.
Mais bon, je ne suis pas la brigade des mœurs.

« Mais j’ignorais que la… Faiblesse de milord pouvait être transmise à d’autres… Cela fait pourtant depuis des mois que Lettice est à son service, et elle ne me semblait pas malade…
Serait-ce abuser de votre patience que de demander un cours de médecine gratuitement ? »


Il sait garder constance c’est déjà ça. Il admet au moins que ça compagne de travail a eu des contacts particuliers. Mais je dois me calmer, la connaissance passe par l’apprentissage. S’il est ouvert à apprendre c’est un bon point pour lui.

Ce qui le tue est véritablement si petit ? »

Soit il m’a dit la vérité et il semble inquiet pour son amie, soit j’avais vu juste, dans tous les cas … oui, dans tous les cas un peu de connaissances ne peut que l’aider.

Oui, oui je veux bien… assis toi s’il te plaît.

Je tapote la surface libre pour l’encourager. Ma voix est moins cassante, elle reste abîmée, mais l’énervement s’est envolé.

Pour commencer, je…

Je me pince l’arrête du nez, je me sens soudain très lasse.

Je n’aurais pas dû m’énerver contre toi.

Je me rappelle les épidémies, les maladies que j’ai étudiée, l’idée qu’un autre humain transmette le mal alors qu’il pourrait l’éviter me donne envie de vomir.

Ce qui tue ton employeur est plus petit que tout ce que tu peux imaginer. Si mon hypothèse est exacte, il souffre d’une maladie appelée la grande vérole. C’est une maladie que l’on retrouve dans des lieux où les échanges sexuels sont courants.
Ce qui pose problème avec cette maladie c’est qu’au début elle peut facilement passer inaperçue. Souvent la personne infectée va voir apparaître une lésion, une sorte de plaie sur la région génitale. Mais comme il s’agit d’une blessure indolore la plupart du temps elle passe inaperçue.


Je me penche pour attraper mon carnet et le positionner pour y écrire en laissant le jeune homme voir ce que je fais. Je trace trois cercle en inscrivant lace que j’explique le plus simplement possible.

Cette partie de la maladie est la première phase. La phase que l’on va appeler primaire. Dans cette période de temps la personne infectée peut transmettre sa maladie à ses partenaires sans même se rendre compte qu’elle-même est malade.

Ensuite, si rien n’est faits, nous entrons à la phase secondaire. Ici il y a des éruptions cutanées qui se répandent à différents endroits. Cela peut provoquer de la fièvre et autres afflictions dans le genre. Ensuite une sorte de période de répit peut arriver. Et ensuite l’état se dégrade de plus en plus… le stade tertiaire. Si mon diagnostic est le bon… tu l’as vue aujourd’hui chez ton employeur.


Je ne voulais pas lui faire peur, je devais le rassurer d’une façon ou d’une autre.

Bien sûr, ici, mon patient a eu recours à plusieurs traitements qui ont empiré son état et ont fragilisé ses défenses naturelles. Sa condition est donc un résultat d’un ensemble de facteurs.

Certes plus rassurant, mais ma conscience me dicte de ne pas lui donner trop d’espoir.

Dans tous les cas… la vérole non traitée fait des ravages, pas seulement au corps, mais dans la tête de la personne souffrante. C’est pour cela que j’ai réagi aussi fortement un peu plus tôt. Si tu me dis que tu n’as aucune relation de ce genre avec mon patient… eh bien tant mieux. Pour ton amie, il faudrait lui expliquer, tu peux le faire si tu le souhaites… sinon elle peut venir me voir ici.

Le cas m’intéressait grandement quand j’avais parcouru le dossier, une bonne source de réponse à mes recherches. Mais bien entendu rien n’était aussi simple dans la vie. J’allais maintenant avoir deux patients au lieu d’un… ou même trois si Ludwig trouvait en lui assez de confiance pour s’ouvrir. Et cela sans parler du pauvre serviteur que j’avais renvoyé dans ses quartiers plus tôt. Il pourrait être utile, mais il fallait que je m’organise.

Est-ce que cela t’éclaire une peu sur tes questionnements Ludwig?

Je ne me sentais pas de l’abandonner avec sa petite compagne, mais je n’avais peut-être pas le luxe d’y faire grand-chose.
Liv
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Ludgar FitzEleanor
Re: [Flashback - 1617] D'abord, ne pas nuire [Ludgar, Liv] Mar 21 Juin - 17:56

On me donne l’ordre de m’asseoir, immédiatement je suis assis, sagement, les mains sur les genoux. Et voilà que le bon docteur présente ses excuses, ce qui me fait sourire, mais plus honnêtement cette fois — que de gentillesse, c’est rare sur ce navire.
Puis elle m’offre une lecture, et progressivement, mon sourire disparaît, et mon visage devient blême. Je manque un peu d’éducation mais je ne suis pas demeuré, aussi je pige assez vite la gravité de tout ce qu’elle me dit.

Harrowden a l’air cuit, la maladie est beaucoup trop avancée ça c’est rassurant. Enfin sauf si elle est aussi douée qu’on le dit et qu’elle parvient à lui sauver la vie, ce qui me mettrait dans l’embarras.
Le souci, c’est qu’il semblerait bien que Lettice soit en danger.

Je me mets à imaginer la jeune fille avec une affliction similaire. Les chancres qui apparaissent sur son corps, le mal qui se transmet en elle. J’ai de la « chance », j’ai rejoint la mesnie du sieur Harrowden alors qu’il commençait à bien décliner, donc disons que j’ai échappé au plus humiliant — Lettice, elle, c’est… C’est pas pareil. Je grince des dents, je tords mes lèvres, alors que d’une voix soudain un peu faible je file une question incontrôlée hors de ma bouche :

« Et si… elle n’a pas le choix d’avoir des relations ? »

Je me rends compte que trop tard de l’horreur de mon sous-entendu. Et surtout, de l’embarras dans lequel je vais placer Liv. Oui, si elle n’a pas le choix ? En quoi est-ce son problème ? Je sais même pas pourquoi j’ai posé la question. Peut-être parce qu’elle me paraissait gentille.
Je me rends compte que j’ai les mains qui tremblent, alors je les cache sous mes cuisses, tout en me forçant à lui faire un beau sourire confiant — c’est pas vrai.

« Enfin… Je… Pardonnez-moi.
J’entends bien vos instructions, je vous remercie de votre temps. Je ne souhaite pas vous déranger plus longtemps. »


Lettice est toute seule avec lui. Il est ensuqué, il doit dormir, mais quand même — toute seule, avec ce sac de saletés sur pattes. On s’y était habitués, mais là, je bous de rage. J’ai envie de buter ce type, dès maintenant — même si je sais qu’on peut pas, parce qu’Arundel nous débiterais tous les deux en morceaux alors qu’on est encore vivants. J’invente rien, il l’a déjà fait.
Je me lève tout droit comme si mon cul était sur ressorts, en essayant de cacher la soudaine panique qui m’envahit. Et je m’arrête tout droit vers la porte pour poser une question très importante :

« Vous pensez que monsieur Harrowden a une chance de s’en sortir ? »

Je dis ça d’un ton quasi peiné. Ma petite comédie commence à être mal jouée. Mais j’ai vraiment envie que sa réponse suscite un peu d’espoir.
Ludgar FitzEleanor
Messages : 22
Liv
Re: [Flashback - 1617] D'abord, ne pas nuire [Ludgar, Liv] Mer 29 Juin - 23:06

Au fil de mes paroles je perçois son masque qui se fendille ici et là. Mon oreille habituée aux gémissements des malades capte sans difficulté une phrase qu’il ne semblait pas me destiner.

« Et si… elle n’a pas le choix d’avoir des relations ? »

Je me concentre pour respirer et ne rien laisser paraître. Je m’en doutais. Dans tous les cas, il se repeint d’un beau sourire pour dissimuler l’horreur.

« Enfin… Je… Pardonnez-moi.
J’entends bien vos instructions, je vous remercie de votre temps. Je ne souhaite pas vous déranger plus longtemps. »


Il a besoin de temps sans doute, n’importe qui aurait besoin de temps… son amie est dans une position exécrable.

« Vous pensez que monsieur Harrowden a une chance de s’en sortir ? »

J’hésite à le réconforter ou même à lui répondre. Ce que j’aimerais lui dire, ce que je devrais lui dire, ce que je peux lui dire. L’ensemble se mélange et je ne peux que le regarder sans réussir à choisir. J’ai besoin de réfléchir, je ne peux pas lui donner d’espoirs sans fondement.

Je… je dois étudier certaines choses. Je ne sais pas.

Je le salue de la tête. Je sais que ma réponse n’a pas dû lui plaire, d’abord j’ai besoin de penser. Je le laisse donc quitter ma cabine sans plus de formalité.

J’attends d’entendre les pas qui s’éloigne avant de relaxer mes épaules. Je suis fourbue. Je suis ici pour soigner une personne, juste une personne. Mais l’envie n’y est pas. Je me lève et je fais deux pas avant de revenir et de me rassoir avant de recommencer le même manège. Je fouille à nouveau mes notes, je sors les échantillons.

—-

La flamme vacille, je me frotte les yeux, deux solutions après plusieurs heures, non.. trois. Aucune satisfaisante, pas complètement. Les émotions compliquent tellement mon travail. Je baisse les yeux sur mon vêtement, talentueuse cette enfant…

Je pourrais la lui retirer, j’ai plusieurs raisons pour le faire. Ou je pourrais injecter au patient directement un produit qui réglerait le problème de Lettice. Mais cela reviendrait à droguer un patient, à l’empoisonner dans un sens. Mais si je ne fais que retirer la gamine peut-être qu’une autre prendra sa place…

Je dois vérifier quelque chose d’abord. Oui je vérifie et cela m’aidera à choisir. Je me décide à traîner ma carcasse sur un pont inférieur à la recherche du serviteur fiévreux. Son état ne s’est pas amélioré. Bien. Enfin pour moi.

Je le soulage comme je le peux en lui donnant des consignes strictes. Puis je remonte à la recherche de la jeune fille. Je la cherche un moment. Je me résigne finalement à demander à l’un des hommes de main. Il m’indique le chemin et je la trouve enfin. Je dois lui parler seule. Je lui explique la situation, je me contente du minimum, je n’ai pas le choix. Les prochains jours seront pénibles.

—-

Je ressors de la suite de mon patient principal. Il n’a pas semblé bien heureux de ce que je lui ai annoncé. Mais une fois convaincu que c’était inévitable pour santé il a semblé être plus apaisé.

Il est si tard maintenant, je devrais retourner au lit. Mais je revois le sourire fissuré du garçon. Je dois lui parler, au moins pour qu’il ne parte pas à sa recherche cette nuit.

Je dois discuter avec le valet de chambre pour les soins de votre seigneur indiquez-moi le chemin.

L’espèce d’homme de main m’indique vaguement encore une fois le chemin.

Je suis devant une porte, sa porte, il a dû se rendre compte que son amie s’est volatilisée depuis un moment. Je cogne.

Ludwig, c’est Liv.
Liv
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[Flashback - 1617] D'abord, ne pas nuire [Ludgar, Liv]
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