HISTOIRE
"Rester, c’est exister. Voyager, c’est vivre" - Citation de Gustave Nadaud, poète et chansonnier français.
Enfance
« Kiuxi !! Mais arrête de bouger partout ! Tu vas casser quelque chose ! », s’exclame ma mère, fatiguée.
« Ho… Quel enfant mal élevé… Il ne sait pas rester tranquille… », marmonne un enseignant à son collègue, irrité.
« Pauvre mère… Elle doit gérer ses trois enfants toute seule… », soupire un vieil homme à sa fille, chagriné.
« Quelle inconscience ! Non mais regardez votre état !! Si vous avez été plus prudent, ça ne serait jamais arrivé !! », me hurle un médecin, courroucé…
Inutile de vous donner plus de détails. Vous comprenez vite que j’étais un enfant très turbulent qui ne savait pas rester tranquille. Le seul moment de répit pour tous était lorsque je dormais, ou lorsque mon géniteur me regardait avec son air hautain et froid. Dès le réveil, j’étais un être qui semblait puiser toute l’énergie de la cage de Falaise. Et c’est ce trop-plein d’énergie qui va me coûter une jambe…
L’alerte avait pourtant été donnée : Tous les habitants de Wuijan étaient priés de se calfeutrer chez eux le temps que l’inondation se calme. Mais un enfant n’avait écouté ni sa mère, ni les autorités, il n’en faisait qu’à sa tête. Vous avez bien deviné : l’enfant en question n’était personne d’autre que moi. La curiosité était un énorme défaut chez moi. Je voulais voir la vitesse de l’eau. Mais je m’étais aventuré trop près. Et le courant m’avait emporté. Même si les habitants tentent de ne rien laisser dans les allées, il peut arriver de voir des objets qui se font emporter par le courant puissant de l’eau. J’étais persuadé que je savais nager. J’étais convaincu que je pouvais rester longtemps en apnée sous l’eau, le temps que je trouve une solution pour débloquer ma jambe. Mais non. La panique me gagnait, je manquais de mourir, noyé. C’était un voisin, qui m’avait vu dans l’eau, qui plongea pour m’extirper de l’eau. Je suis ressorti heureusement vivant, avec une méchante blessure à la jambe gauche. Ma mère et le voisin étaient sûrs que ça pouvait simplement se guérir avec un désinfectant et du repos.
Les jours passaient, je sentais de moins en moins ma jambe, et je la voyais changer de couleur. Ma mère, inquiète, m’emmena chez le médecin. Qui me passa un sale savon. On apprend à l’école qu’il ne faut pas s’amuser à passer à côté de l’eau pendant les inondations. Car de nombreuses personnes perdent la vie. Je ne pouvais pas dire que j’étais un miraculé. Le médecin m’insulta juste de sale gosse inconscient sans intelligence. Ma jambe gauche était morte. Il fallait me la retirer au plus vite avant que l’infection ne se propage dans le reste de mon corps. Je me suis réveillé avec la moitié de ma cuisse gauche. Avec les moyens qu’on avait, ma mère m’a acheté une prothèse en bois. C’était juste une emboîture en bois rembourré pour accueillir ma cuisse. Un bâton épais en métal remplaçait le bout manquant, l’embout en caoutchouc à l’extrémité m’aidait à ne pas glisser.
9 ans, et déjà une jambe gauche en moins. A cause d’une bêtise évidemment évitable. 9 ans, et j’étais devenu l’exemple parfait à ne pas suivre. Je suis passé d’enfant turbulent à enfant mort-vivant. Je faisais ce qu’on me demandait sans broncher. Je ne me regardais plus dans le miroir. Je me trouvais déformé. Je ne souriais plus. Je n’avais plus envie.
Aujourd’hui, quand je repense à mon enfance, je suis étonné que ma mère ou les voisins ne m'aient pas jeté à Welfeit pour m’apprendre à me tenir tranquille… De toute manière, si ce n’est pas ce centre, ce serait l’autre centre infernal qui me ramasserait pour m’éduquer.
Début de l’Adolescence
« T’es maigre, il faut que tu manges un peu plus quand même, non ? », s’inquiète une voisine.
« Demande-moi ce que tu veux, mon petit soleil, je fais tout pour que tu puisses bien grandir, hm ? », me parle ma grand-mère, avec beaucoup d’amour.
« Oooh Kiuxiii ! Que c’est meugnon ! C’est qui qui t’a mis ce prénom ? Parce que c’est vrai que tu ressembles à une fillette !! » raille les camarades de classe, méprisant.
« Hahaha !! Eh regardez ! J’ai un jambe-épée ! A l’attaque ! », joue un garçon de la cité avec ma jambe dans ses mains...
Mon adolescence a été la période la plus difficile jusqu'à maintenant. J’ai détesté tellement de choses. Ça m’avait pourri une bonne partie de ma vie.
J’ai détesté mon prénom… Kiuxi signifierait Petit Soleil dans l’ancien langage. Et c’est un prénom mixte. J’étais bien maigre, corpulence parfaite pour être la cible de tous les idiots. Prenant ma jambe pour en faire n’importe quoi.
J’ai détesté ma mère pour m’avoir donné ce prénom. Il existe bien d’autres prénoms, dont la signification est plus forte, virile, surtout pour un homme. Et Non, ma mère avait préféré un prénom mixte pour son aîné, pratique pour les nombreuses railleries…
J’ai détesté les médecins qui n’avaient pas réussi à sauver ma jambe. La médecine avait suffisamment avancé pour pouvoir soigner les blessures, j’en était persuadé. Ils pouvaient bien m’envoyer dans une autre cité-état pour me soigner. Mais au lieu de ça, sans doute par fierté, ils avaient préféré le chemin de la facilité : retirer la jambe, pour me donner une punition définitive pour ma vie entière.
J’ai détesté tous ces idiots à l’école qui se moquaient de moi, à cause de mon prénom, à cause de ma jambe en bois. Ces imbéciles qui ne semblaient pas savoir ce que c’est d’aider les autres, s’amuser sans insulter. Je ne pensais pas que cette punition s’étendait aussi loin.
J’ai haï mon géniteur, ce lâche, qui n’était plus là pour me soutenir et me protéger. Je l’ai vu partir, je n’avais que 5 ans. Il arrivait à me calmer simplement avec son regard noir, méprisant. Il me faisait peur. Et ce lâche est parti quand ma dernière petite sœur venait de naître. Ma mère était effondrée. J’apprends en même temps qu’elle… que mon père est un natif de Tel Makhtesh. Il a changé d’identité, utilisé ma mère, avant de trouver une autre femme dans son pays natal. A cause de cet événement, j’ai haï tous les pères. Ils étaient faux, ils étaient mauvais. Ils cachaient tous leur réelle nature au public, et s’en vont lorsqu’ils trouvent des choses plus intéressantes ailleurs, en emportant tout l’argent, laissant sa femme et ses enfants pour morts. Durant toute mon adolescence, je ruminais : mon géniteur est une pourriture.
Je me suis détesté, faible qui ne savait pas se défendre. Si je n’avais pas perdu ma jambe, j’aurais certainement été plus fort. J’aurais pu courir plus facilement. J’aurais eu plus de forces. Je n’aurais pas été aussi faible. Je voulais retourner dans le passé, m’empêcher de tomber dans l’eau, pour changer mon avenir. Mais revenir dans le passé est impossible. (Du moins, je n’avais pas l’artéfact nécessaire pour revenir en arrière). Le remords, la déprime avaient été le moteur de mon anorexie.
J’étais certes faible, mais je reste comme les autres. Je n’échappe pas à la règle de la goutte d’eau qui fait déborder le vase…
Après avoir manqué de tuer l’un de mes camarades harceleurs avec ma jambe en bois, j’ai été envoyé au Centre de Redressement de Wuijan, après un procès très rapide. Je me savais coupable, même si ce n’était qu’une forme de légitime défense.
Au centre, un doigt, un œil, ou une jambe en moins ne changeait rien à la manière dont on était traité. On était tous des punis qui avaient exactement les mêmes châtiments que les autres pensionnaires en bonne santé. C’est tout. Tu n’as pas réussi à faire le tour de terrains avec poids sur le dos avant le temps imparti ? Ce n’est pas grave. Ta punition est renforcée le lendemain, tu la fermes et tu termines ta punition à temps. La disparition de ma première petite sœur va me rendre plus strict envers moi-même, plus froid. Elle n’avait que 13 ans, certains l’avaient vu sur le chemin du retour à la maison après l’école. Mais elle n’est jamais rentrée à la maison… On ne sait pas ce qui lui est arrivé. Si j’avais été là… Si j’avais été plus fort… Ça ne serait jamais arrivé. Ma famille avait perdu Mujueli, alors qu’elle avait toute sa vie devant elle. Même si je n’ai pas pu la protéger, j’avais un but : je dois ressortir plus fort pour protéger Teveni, la petite dernière de 10 ans… Le deuil m’habite encore, n’ayant pas été présent avec ma mère pour faire le deuil.
Au Centre, j’avais réussi à prouver que je pouvais être fort, malgré une jambe en moins. J’avais montré que je pouvais être un bon chasseur bienveillant. Je suis ressorti du Centre de Redressement de Wuijan plus fort. Physiquement, j’ai acquis une carrure plus forte et plus imposante. Mentalement, je suis devenu froid, j’arrive à prendre de la distance. Mais ce n’est pas parce que je suis silencieux qu’il faut me provoquer. Je suis bien calme, mais s’il faut te balancer à l’eau pour te tempérer, je le ferai sans grande difficulté. C’est cette transformation qui va désarmer les harceleurs qui m’avaient traumatisé au début de mon adolescence. Certains deviendront des jaloux effacés, voyant que j’avais des postes qui me permettaient de gagner bien mieux ma vie qu’eux.
Adulte
« Tu vas me manquer, mon petit soleil… », salue ma mère, émue.
« Fait gaffe à ne pas te faire bouffer par un cactus fantôme pendant ton voyage. », se moque gentiment ma sœur Teveni, cachant tant bien que mal son chagrin.
« Bon voyage, Kiuxi Suile. Que la protection de Prayj Claria soit avec vous. », m’encourage l’Aînée, fière.
J’ai été au jour de Weixulian pour fêter ma majorité avec tous les autres nouveaux adultes de Wuijan. J’ai bu, jusqu’à sentir que je ne marchais plus très droit. Les personnes ne me reconnaissaient plus. Après avoir compris que je sortais du centre de l’enfer parmi d’autres pensionnaires, la majorité des jeunes s’est tenue à l’écart de nous. Ce n’était pas plus mal, je ne voulais pas de leur compassion ou leur admiration, alors qu’aucune famille ici présente n’avait aidé la mienne.
J’ai enchaîné les boulots dès que j’ai pu. J’ai été pris rapidement comme berger. J'ai ensuite été chasseur, alternant la surveillance dans les zones et la chasse du gibier. Cela avait bien des avantages, je gagnais bien mieux ma vie.
Il arrivait à mon équipe de passer une nuit dehors avant de commencer le lendemain de chasse. On allait au-delà des champs de cactus, des éleveurs de bœufs des sables. Mais ce n’était pas assez pour moi. Je voulais voir plus de choses. Je voulais découvrir. Pas seulement à travers les feuilles qu’on voyait à l’école. Je voulais voir la mer, les montagnes, les forêts, les autres habitants… Je décide alors de protéger les convois des brigands. Ces attaques me laissaient des cicatrices sur le corps, et le dégoût envers les Tel Makhtesh ne faisait que croître.
Arrivé à destination, on ne restait qu’une nuit. Les séjours étaient bien trop courts pour moi. Je voulais rester deux à trois semaines, le temps de bien voir les paysages, de voir les habitants et leurs coutumes.
Ma première destination était Falaise. Je savais qu’il y avait des médecins. Et un génie m’avait créé une jambe prothétique. J’avais mis du temps à m’habituer. Mais marcher à nouveau sur deux jambes était maintenant un bonheur.
C’est au bout de 6 ans de travail à Wuijan que je prends le choix de déposer une demande de statut de Voyageur. J’ai été bien reçu au Haut Pavillon. Après une longue présentation pour soutenir mon projet devant un jury, j’ai eu la bénédiction de ma petite famille, de l’Aînée Dame Xekuy ainsi que celle de Praiy Claria.
Je voyage à travers Alqara depuis maintenant quatre années. Avec l’argent économisé et l’argent offert par l’Aînée, j’ai acheté une monture. Un beau bœuf des sables que je renomme Yubok, et il m’accompagne partout, appréciant les différents paysages défiler tout autant que moi. J’ai eu du mal à l’apprivoiser, attaché à son ancienne éleveuse. Mais il sait qu’on rentre régulièrement chez lui, alors il me supporte.
Pour survivre, je vais de commerces en commerces, demander s’ils recrutent un court moment, et travailler. Cela me permet de nous nourrir, et dormir sous un toit lors des saisons froides. Vendeur, gestionnaire des rayons, plongeur, cuisinier, manutentionnaire, préparateur de métaux, berger… Multiples petits boulots dont la majorité nécessite de l’endurance, ou de la force physique.
Yubok porte sur son dos deux sacoches, avec mes effets personnels, le nécessaire pour vivre à l'extérieur, des souvenirs intéressants à ramener à ma famille. Dans une petite poche, j'y glisse un carnet où je note les adresses de tous les commerçants où j'ai déjà travaillé, et les compétences acquises là-bas. Pour ne surtout pas y retourner. Je ne vois pas l'intérêt d'y retourner si c'est pour faire la même chose (sauf si je n'ai vraiment pas trouvé d'autre solutions).
« Mère, Teveni, je reviendrai. Ne vous inquiétez pas pour moi. Je reviendrai régulièrement. »