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[Flashback] Hiérarchie [Elea, Ludgar]

Ludgar FitzEleanor
[Flashback] Hiérarchie [Elea, Ludgar] Sam 16 Avr - 15:29

Été 1634.


J’ai encore passé une nuit sans dormir. Je peux me mentir à moi-même en me disant que c’est la faute à la chaleur, au matelas qui grince, ou à l’air trop humide de la cabane dans laquelle je roupille — en vérité, ça va faire un long moment que j’ai pas eut mes huit heures de sommeil complètes. La vie de soldat m’a complètement déglingué, les micro-siestes avachi entre deux caisses ou reposé sur une table après un long moment de garde me paraissent plus naturelles que m’allonger sur mon dos et clore mes paupières. J’ai tout essayé pour accélérer l’inconscience ; dormir avec une fille ça rend les draps trop chauds et je sue comme un porc, la poudre dans le nez ça me file une migraine atroce au réveil et une torpeur qui va me suivre toute la journée, quant à l’alcool, j’y suis tellement accoutumé que c’est plutôt quand j’en manque que je fais des cauchemars. Faudrait que j’essaye de méditer ou de moins bouffer le soir, mais ça c’est ce que je me dis chaque matin, en croyant que cette fois-ci, je vais faire des efforts, avoir une meilleure hygiène de vie — j’en ai déjà marre à midi.

Là, actuellement, je traîne sur la plage de Falaise. Avachi sur un ponton, je regarde au loin les pêcheurs de coquillages qui profitent de la marée basse, tout en boulottant un bout de sandwich que je me suis préparé hier-soir ; c’est pas très bon mais ça remplit le ventre — jambon avec plein de mayo si vous étiez curieux, et j’ai foutu un peu de salade dedans pour me donner bonne conscience. J’arrive à en manger aux trois-quarts, avant d’en être las et de le balancer comme ça au loin, ça fera bien le bonheur d’une mouette.
J’ai mal aux yeux. Et aux tempes. Et aux lombaires, aussi. L’hôtel dans lequel j’avais dormi avait pas de bons matelas — ou alors c’est juste moi qui étais nerveux et qui me suis couché dans une mauvaise position. Ou alors c’est mon paquetage, qui se trouve juste à côté de moi. Je me soulève, m’étire comme un chat, le ramasse et le fout sur mon épaule.
Y a absolument toute ma vie dans ce sac. Mes vêtements de rechange, un sac de couchage, des papiers et de l’argent, un petit réchaud et de quoi manger un peu. Je suis sans domicile fixe, je vivote, en dépensant ce qui me reste en monnaie liquide — avec ce qui est placé dans une banque à Misty, je dois encore pouvoir tenir quelque temps comme ça. Mais pas sur la durée. L’hôtel ça revient cher, l’alcool et les femmes pour me tenir compagnie aussi. Et puis, je dois avouer, je commence à être ennuyé de prendre des cuites, ‘fin, de temps en temps c’est bien, mais pas tout le temps non plus.
J’ai… J’ai besoin d’un nouveau départ. Un boulot. Des tas de gens plus attardés que moi en ont, des boulots, je dois bien pouvoir encore trouver ça.



J'erre le long des pontons en piloris. Les traces de mes bottes qui marquent le sable, je plisse des yeux, parce que le soleil à son zénith, qui scintille sur l’eau, amplifie davantage mes céphalées. J’ai envie de crever. Comment je dois faire peine à voir ; je me suis bien un minimum arrangé, j’ai pris une douche y a deux jours, et je me suis fait tailler la barbe, mais je sais que je dois être pâle comme un linge, avec les yeux rougis par la fatigue.

J’ai un papier dans ma main. Quelques notes que j’ai griffonnés. J’aime me dire que ça sera suffisant pour rebondir. Je cherche pas un miracle. Juste un putain de boulot.


Y a un bateau pas loin. Un gros navire, qui fait flotter le pavillon de ma cité natale. L’Arcana, qu’il s’appelle. Je connais son capitaine — de renommée. Tous les grands capitaines de Misty on en entend parler dans les bars et sur les quais, et des marins de Misty, on en trouve dans chaque port du continent.

Je grimpe sur le quai, et me dirige lentement vers le ponton. Devant, des matelots s’activent. Ils courent dans tous les sens avec des échelles et des cordages, ils font rouler des tonneaux, y crient des ordres dans tous les sens dans un patois de matelot rempli d’abréviations et de mots inconnus des non-locuteurs, dans une ambiance qui fait clairement penser au départ — bientôt, ils braveront le domaine de la sirène.

Je m’approche d’un jeune matelot qui lève la tête en me voyant. Il est en train de préparer un paquetage. Je lève une main et le hèle.

« Salut garçon. Je cherche du boulot. Où j’peux me présenter ? »

Le matelot, sans dire un mot, lève sa main et pointe du doigt un autre gars. Je hoche la tête.

« Merci. »

Le-dit gars me tourne le dos. Il est au-dessus d’une caisse ouverte, un pied posé dessus, et il est en train de rédiger quelque chose sur un papier posé au-dessus d’une tablette — il fait de la comptabilité. Le type a l’air quelconque, un monsieur d’un certain âge, barbu, sans d’uniforme, juste une grosse chemise tâchée et un pantalon trop grand pour lui. Je me plante derrière lui, et toussote pour essayer d’attirer son attention.
Il soupire nasalement, et sans même me regarder, continue de bosser tout en se plaignant.

« Tu m’fais de l’ombre, mon garçon. »

Il a une grosse voix rauque. Mais je pense pas qu’il soit plus vieux que moi, ou pas de beaucoup. Le mon garçon me donne envie de grogner, voire de le choper par le col — mais je me contente de faire un pas de côté pour qu’il profite du soleil qui lui tape contre sa nuque bien bronzée. Et je prends une fausse voix de fausset toute polie.

« Bonjour à vous, sir. Je me demandais si vous recrutiez en ce moment, et-
– T’es en retard, mon garçon, il me coupe soudainement en claquant des lèvres. Le recrutement c’était hier, notre équipage est complet, maintenant, on va bientôt mettre les voiles. »

Il claque des doigts et retire son pied de sa caisse.

« Lucas, t’embarques ça dans la cale, c’est fragile. »

Et le voilà qui continue sur le quai, d’un pas rapide. Heureusement, comme je suis grand, j’ai pas besoin de trop me presser pour lui coller aux basques.

« J’sais bien… Mais, bon… Je me disais… Comme vous venez de Misty, vous-
– On va engager un type de Misty à Falaise, juste parce qu’il vient de Misty ?
Pardon mon garçon, mais le budget est serré. J’ai les bras qui me faut, j’ai pas besoin de beaucoup plus. »


Il s’arrête devant un tonneau, claque à nouveau dédaigneusement des doigts, et un fadarinier le soulève. Ça pue la vinasse : il inspecte rapidement tout en marquant des choses sur son papier.
Moi, je continue de le saouler.

« Je viens pas quémander la charité, m’sieur. Je veux juste bosser.
– Hmmm… De l’autre côté du quai, y a le Pequod qui est encore en recrutement cette semaine. Pourquoi tu vas pas tenter ta chance là-bas ?
Tu le mets dans l’entrepont avec les autres ?
Change-t-il vite d’interlocuteur.
– Ouaip, répond le matelot.
– J'en reviens tout juste du Pequod. Le navire est en entretien, tout ce qu’ils recrutent, c’est des ouvriers pour le carénage. »

Le quartier-maître arrête soudain sa paperasse. Il se retourne, et me regarde pour la première fois. Il m’étudie, croise des bras, et me répond soudain plus sèchement :

« Et donc ? C’est pas assez bien pour toi, caréner ?
– J’ai passé l’âge, disons.
– Y a pas d’âge pour caréner. Mon père carénait jusqu’à la tombe. Tu t’es pris pour qui ? À venir en retard et faire le précieux ? »

Un matelot me bouscule — il est en train de porter un sac jusqu’à l’Arcana. Ça m’empêche de répondre une connerie, parce que je bredouille, et tend nerveusement du bout du bras une lettre.

« J’ai… De l’expérience. J’étais dans le Héron Bleu, l’année dernière. Vous connaissez ?
– Ouais, je connais. »

Il attrape ma lettre de recommandation, signée par le capitaine. Ma compagnie était un solide groupe de mercenaires de Misty. Une bande connue, et respectée. Je pense que rien que ça suffira à mériter un peu de curiosité de la part du gars.
Mais maintenant, il soulève un œil avec un sourcil relevé.

« Je sais surtout qu’ils payent très bien. Pourquoi t’es plus avec eux ?
– Libération honorable. Je voulais me reconvertir.
Reconvertir, ce qu'il faut pas entendre.
Hm. Oh, t’es médaillé.

– Pour bravoure, je réponds fièrement avec un petit sourire.
– Et t’as cru que t’allais… Quoi ? Devenir officier, ici ? T’as envie de me commander ? »

Il me fait un sourire avec une gigantesque grimace. Je tourne sept fois ma langue dans ma bouche, avant de soupirer un truc :

« Écoutez… Je pense que sur un navire, un type comme moi peut servir. Je peux vous convaincre, je sais faire plein de trucs, et-
– Gaspille pas ta salive, ou mon temps, Loudegar… J’ai du boulot. Tu veux convaincre quelqu’un, t’vas convaincre le lieutenant Flint, c’est elle qui aura le dernier mot.
Si tu l’agaces elle, par contre, t’étonne pas d’être jeté à la flotte. On est un peu pressés, on met les voiles avant deux heures. »


Il roule ma lettre de recommandation, et me la tend à nouveau. Puis, il se tourne, et pointe du doigt vers le château de poupe du navire.
Y a une dame là-haut. J’en vois pas grand-chose, parce qu’elle est à contre jour et le soleil me tape dans les yeux. Tout ce que j’aperçois, c’est ses cheveux roux qui brillent avec les rayons.

Je hoche la tête en remerciement au quartier-maître, et m’approche de la planche qui lie le navire au quai, en direction de la-dite lieutenant.


Dernière édition par Ludgar FitzEleanor le Sam 16 Avr - 18:30, édité 1 fois
Ludgar FitzEleanor
Messages : 22
Elea "Firestorm" Flint
Re: [Flashback] Hiérarchie [Elea, Ludgar] Sam 16 Avr - 16:32



Hiérarchie

Prouve ta valeur, garçon

Le soleil tapait violemment sur le pont lustré de l'Arcana et sur la tête de son équipage. Les journées étaient habituellement longues et chaudes mais les températures atteignaient un tel point que même la nuit ne suffisait pas à rafraîchir l'air étouffant. Les allées et venues sur le port n'aidaient pas non plus. Les marins chargeaient les dernières marchandises sous le regard des officiers. Normalement, le navire aurait dû largué les amarres quelques jours auparavant mais le duo Flint avait flairé une bonne affaire et avait négocié avec l'administration falaisienne. Les dernières nouveautés en verre de Tel Makhtesh méritaient un léger retard, cela se vendrait à bon prix dans les allées de Misty Harbor. Et quelques jours de repos supplémentaires n'avaient pas fait de mal à l'équipage, hormis aux petites natures qui n'avaient pas su réguler leur consommation d'alcool ces dernières nuits. Elea n'avait pas été mécontente non plus de cette pause bien méritée, elle avait exploré avec joie tous les Cinquième étage, ses échoppes... et ses tavernes et ses habitués, évidemment.

Mais l'heure n'était pas aux souvenirs de ses nuits accompagnées à chaque fois d'une personne différente. La jeune femme consultait la liste de tous les passagers, où vieux loups de mer et nouvelles recrues se croisaient. Elle passait rapidement sur certains, que leur loyauté sans faille envers Morgan Flint faisait toujours revenir. Elle avait entière confiance en eux, ils l'avaient vu grandir et remplissaient sérieusement leurs rôles d'officiers ou de quartiers-maîtres. Elle s'attardait un peu plus sur les autres, relevant de temps en temps la tête pour mettre un visage sur le nom. Une fois l'équipage passé en revue, une bonne vingtaine de minutes, elle retourne superviser le fourmillement qui va des entrepôts à la cale du navire.

Elle aurait été prête à se damner pour faire un plongeon dans les eaux fraîches de Falaise. Sa chemise en lin entièrement ouverte -des bandages faisaient office de brassière- ne suffisait pas à lui apporter assez d'air et son tricorne ne ventilait pas assez non plus. Mais ces désagréments ne baissaient pas sa vigilance pour autant.

-Lucas, on t'a dit que c'était fragile ! S'il y a de la casse, je compense sur ta paie !

Alors que ses yeux bleu-gris parcouraient les ponts et les quais, surveillant les allées et venues, une large et haute silhouette l'accrocha. L'inconnu échangeait avec le moins aimable des officiers, Hastings. Fréquemment surnommé "L'Ours". Son épaisse barbe embroussaillée et son air bourru y étaient sûrement pour beaucoup. Un autre matelot interrompit son observation. Un des gabiers roupillaient tranquillement près du mât d'artimon, très probable qu'il essayait d'y cuver sa nuit. A grandes enjambées agacées, Elea se rendit au chevet du dormeur. D'un coup de pied bien placé dans les côtes, elle le réveilla avant qu'il ne soit relevé sèchement par le canonnier.

-J'ai pas engagé la belle au bois dormant, dégage d'ici.

Le futur ex-matelot avait été embarqué quelques voyages auparavant mais, si avoir un musicien supplémentaire était agréable, son office de gabier n'était pas toujours le mieux rempli. Récemment, il avait même commencé à chipoter le peu de tâches sur lesquelles il était utile. Alors qu'il quittait piteusement l'Arcana et que ses affaires étaient jetées à l'eau, la lieutenant reprit sa liste et tira un trait sur son nom. Une bouche de moins à entretenir mais elle devait mettre quelqu'un d'autre à son poste.

Elea sentit alors une présence dans son dos et se retourna vivement. L'immense perche qui était auparavant sur le quai avec Hastings lui faisait face. Elle détailla le visage marqué de l'homme, la peau de loup qui reposait sur ses larges épaules, ses jambes solides. Il ne devait pas avoir beaucoup d'ennemis avec une carrure pareille. Elle reporta son regard dans celui de l'inconnu. Elle n'était pas d'humeur pour supporter quelqu'un qui n'avait pas compris le refus de son intendant.

-J'écoute ?



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Elea
Localisation : A bord de l'Arcana
Messages : 35
Ludgar FitzEleanor
Re: [Flashback] Hiérarchie [Elea, Ludgar] Sam 16 Avr - 18:40

L’agitation à bord d’un navire, c’est une ambiance difficile à retranscrire. D’un œil peu exercé, ça ressemble à un immense chaos, et il faut avoir passé un moment sur les ponts pour comprendre à quel point tout ce qu’on observe est construit et raisonnable. Tel fadarinier qui se remue avec sa serpillière, tel duo de canonniers qui font rouler un tonneau de poudre, ils sont tous dirigés vers un objectif, ils agissent avec des automatismes bien régulés, rythmés par l’entraînement et la discipline — et si l’un d’eux traîne, il sera vite remis dans le rang, par un moyen ou un autre.

J’ai vraiment pas l’air à ma place, ici. J’ai les yeux rivés sur un tas de détail, comme des mouettes qui s’envolent des mâts, ou un marin en pause qui s’entraîne sur son violon à rejouer ses accords. Je manque de trébucher sur une corde mouillée qui traîne par terre, ce qui aurait été une magnifique première impression pour tous ceux qui commencent à me regarder avec un sourcil relevé. De quel droit suis-je sur leur bateau ? Je n’ai pas les vêtements cintrés et propres d’un douanier, ni l’air riche et magnifié d’un marchand — plus, en tout cas, car ma dynastie, les Ropsley, n’existent plus.


Flint. Le barbu a été clair. Il a dit le lieutenant, Flint. Je l’ai dit, je connais Sir Morgan Flint, le capitaine. De réputation, et pas de bonne — ce qui est un compliment, à Misty. Un bon capitaine sait ménager la carotte et le fouet, la peur et le respect qu’il inspire mêlés à son équipage. Sauf que c’est pas Morgan Flint que je vais voir, mais une dame ; je la vois en train de griffonner sur un papier, tandis qu’un matelot derrière elle est en train d’être poussé dans une clé de bras au loin. Je suis pas grand clerc, mais je pense savoir qu’il a une fille.

Je me sens un peu nerveux. Ça doit être bizarre, un énorme type borgne de six pieds de haut qui est nerveux. Je mets mes mains dans le dos, et tripote mes doigts pour me déstresser, alors que je m’approche tout droit d’elle.

Le lieutenant Flint lève l’œil. Puis elle me regarde tout droit, et me sort uniquement un mot sec et direct. Les marins aiment pas qu’on leur fasse perdre leur temps, y a qu’à voir mon « succès » avec le quartier-maître y a pas quinze minutes.
En tant que bonne personne bien née de Misty, je fais un tout petit hochement de tête en guise de courtoisie — mieux si je passe pas pour un complet attardé mental. C’est une dame, et une très jolie dame en plus, il faut bien la respecter en lui parlant comme le ferait un gentleman.

« Bonjour lieutenant. »

Je sors mes mains de derrière mon dos, et la grosse cape de loup, en tenant mon espèce de papier à la main.

« Votre subalterne m’a dit de m’adresser à vous, je cherche du boulot, et- »

Un matelot siffle derrière. Je retourne ma tête comme une chouette. C’est juste des types en train de bosser.

« -et je me demandais si vous recrutiez.
J’ai servi plus de dix ans de ma vie dans la compagnie d’aventure du Héron Bleu. Fini adjudant. Je sais utiliser une arme à feu, je sais agir sous le danger, je sais obéir aux ordres. En tant que gars de Misty, j’me disais que je pouvais vous être utile. »


Je tends mon petit papier. Qu’est-ce qu’il y a écrit dessus, en fait ?
Pas grand-chose. C’est un document administratif de « Décharge avec les honneurs ». Dessus il y a écrit que « Ludgar FitzEleanor » est un « bon élément », « qui a combattu avec honneur et galanterie », « apte au feu », et d’autres trucs sympathiques de ce genre.
En vrai, ce papier, j’y tiens, parce que des ex-mercenaires à Misty, il y en a plein — tout le monde les déteste. Les types trop violents pour faire un autre boulot que soldat, mais trop cons pour le rester, ça promet pas. Moi j’aime insister sur le fait que mon départ n’a pas été ignoble, que je suis pas tombé pour désertion, ou usage de drogue, ou agression sexuelle, ou un autre crime de ce genre.
Est-ce que c’est pour autant que miss Flint sera ravie d’engager un grognard de trente-six ans qui sort de nulle part sur son rafiot ? Ça, c’est pas sûr.

« J’ai conscience que vous avez bouclé votre recrutement et que vous allez partir — j’demande pas une énorme paye non plus, il me faut un lit et une solde qui va avec ce que vous me ferez faire. Et je sais faire. »

En vrai, je suis pas tout à fait honnête. Je suis vieux. Alcoolique. Et je prends un peu de drogue de temps en temps. On me demande de porter des sacs et de passer la serpillière, je sais pas si je vais me coincer une côte avant de péter les plombs et que ma fierté m’empêche de continuer. Si j’avais eu le courage de faire un boulot manuel, j’aurais repris la forge de mon père.
La vérité c’est que je suis doué pour me battre et tirer avec un flingue, mais pas sûr qu’un capitaine de navire ait besoin de telles compétences…

« Dites-moi de quoi vous auriez besoin dans votre équipage, je suis sûr que je peux vous convaincre que je serai utile. »
Ludgar FitzEleanor
Messages : 22
Elea "Firestorm" Flint
Re: [Flashback] Hiérarchie [Elea, Ludgar] Dim 17 Avr - 12:06



Hiérarchie

Prouve ta valeur, garçon

Si Elea n'avait pas eu l'habitude de travailler avec des gars immenses, la stature imposante de l'inconnu l'aurait probablement fait défaillir. Plus de six pieds, presque deux mètres, sa nuque serait douloureuse après et entretien. Mais au moins, il était poli, il s'avait s'adresser à une femme et une gradée. Elle le salua également d'un léger hochement de tête, lui enjoignant de continuer sa requête. Pour être un peu plus haute, elle tire un tonneau vers elle et s'assoit dessus. Maintenant, si elle maintient son regard droit, elle a une vue parfaite sur les épaules de l'homme. Ce devait être amusant de le voir, lui, anxieux devant une demoiselle dont il pouvait rompre la taille en serrant trop fort. Elle verrait presque son papier trembloter de stress. Alors qu'il tournait la tête, appelé par le sifflement d'un des marins (c'était Denis, un matelot falaisien habitué de l'Arcana), un léger sourire étira les lèvres de la jeune femme. Qui reprit son air neutre quand il se retrouva à nouveau face à elle.

-J’ai servi plus de dix ans de ma vie dans la compagnie d’aventure du Héron Bleu. Fini adjudant. Je sais utiliser une arme à feu, je sais agir sous le danger, je sais obéir aux ordres. En tant que gars de Misty, j’me disais que je pouvais vous être utile.

Elle haussa un sourcil interrogateur alors qu'elle saisissait le papier. Une lettre de recommandation, sans aucun doute. Mais elle était étonnée. Le Héron Bleu, c'était comme un navire qui payait bien, personne ne le quittait sans avoir fauté ou sans mourir. Une partie d'elle était curieuse, l'autre était réticente à engager un ancien mercenaire sur son bateau. Comme les pirates, ces derniers n'avaient pas bonne réputation à Misty Harbor. En même temps, elle non plus... Qui était-elle pour interdire un homme de changer de voie ? Surtout qu'il lui manquait quelqu'un maintenant qu'elle avait viré le dormeur. Rien d'irremplaçable mais un équipage complet était toujours utile. Il fallait qu'elle en apprenne davantage.

-J’ai conscience que vous avez bouclé votre recrutement et que vous allez partir, j’demande pas une énorme paye non plus, il me faut un lit et une solde qui va avec ce que vous me ferez faire. Et je sais faire.

Au moins, il était raisonnable. Alors qu'il terminait, la lieutenant s'attarda enfin sur la lettre. "Loup-de-guerre", il portait bien son nom. Nom qui la fit tiquer, elle n'avait pas entendu son patronyme complet depuis une éternité et il lui hérissait toujours autant les poils. Si jamais il embarquait, entendre "FitzEleanor" en permanence lui serait difficile. Mais pour le reste, la recommandation était irréprochable. Gabier ne lui irait certainement pas, il n'avait pas l'air d'avoir navigué et la voltige ne lui allait pas non plus. Puis, il était borgne, donc pas de vigie. Mais, en mettant quelqu'un à la place de celui qui avait été expulsé, artilleur peut-être ? Son expérience avec les armes à feu pourrait être utile aux canons. Pas maître d'artillerie évidemment, la place était réservée aux hommes de confiance de son père.

Elea releva finalement son regard dans celui de Ludgar. Elle avait fait exprès de lire lentement et plusieurs fois la lettre, pour tester sa patience. Il semblait avoir le sang chaud mais, s'il avait eu la tentation de dire quoi que ce soit, il avait su se contenir.

-Adjudant, j'aurais plusieurs questions. Premièrement, avez-vous déjà navigué ?

Par respect pour son honneur, ô combien important pour les Harboriens, et pour le mettre dans de bonnes dispositions, elle avait choisi d'utiliser son grade. Par contre, elle n'avait pu se résoudre à prononcer son nom de famille. Un léger sourire en quoi flottait sur sa bouche. La question suivante ne serait pas des plus agréables pour Ludgar.

-Deuxièmement, pourquoi avoir quitté le Héron Bleu ? A trente-six ans et gradé, votre carrière aurait pu y être brillante.

Elle connaissait suffisamment les usages à terre pour savoir que, quand on est monté dans la hiérarchie d'une compagnie d'aventure, on ne la quitte pas juste pour le plaisir de la reconversion.



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Elea
Localisation : A bord de l'Arcana
Messages : 35
Ludgar FitzEleanor
Re: [Flashback] Hiérarchie [Elea, Ludgar] Dim 17 Avr - 18:17

Et là, la lieutenant, elle fait un truc hilarant. Alors que je suis à trembler comme un crétin à cause du stress, elle m’ignore royalement, va tirer un tonneau à la force de ses bras, sans trop de souci, et elle saute dessus pour se mettre à sa hauteur. Son air tout goguenard me fait rire, alors je grimace un peu tandis que je dois réprimer un sourire. J’aurais l’air de quoi, si je cassais mon bel air de grand type costaud et froid, hein ?

Elle lit ma lettre. Un moment. Un loooong moment. Je dis rien tout du long. Faut dire, c’est à cause de mon ancien boulot — soldat, faut apprendre à être patient. On sous-estime à quel point les trois quarts de la vie de soldat, ça consiste juste à attendre comme un crétin. Faire le guet au point A, marcher au point B, tenir le point B où il se passe rien, rebrousser chemin au point A… C’est un tas de gardes, de moments passés en sentinelle, de tranchées dans lesquelles patienter. On apprend vite à s’ennuyer. Moi je suis ailleurs dans ma tête pendant ce temps, je me passe juste une chanson en boucle.

Enfin, les questions arrivent. Polies, directes, et auxquelles je m’attendais — en prime, elle a la gentillesse de m’appeler « adjudant », ça me manquait. Je prends une grande inspiration, alors que j’ai la réponse toute simple à la première :

« Difficile d’être Harborien et pas naviguer, mon lieutenant. »

C’est pas tout-à-fait répondre à la question, et je sais pas si Elea a la patience pour mes petites blagues pince-sans-rire — alors j’enchaîne avec les précisions.

« Quand j’étais tout jeune j’étais pêcheur. Batelier aussi. Et puis en tant que mercenaire, on passait beaucoup de temps en transit sur un navire.
Je suis pas un matelot. Mais j’ai pas le mal de mer et je comprends qu’est-ce qu’il faut faire pour pas que le bateau s’effondre. Les détails, j’apprendrai vite. Si vous saviez le nombre de boulots que j’ai eu… »


Y en a plus classe que d’autres. Pas sûr que la lieutenant soit intéressée par l’époque où je chauffais les lits d’autres gens. Mais ouais, ramener des filets sur le rivage de Misty, ça c’est une carrière honorable.

« Quant à votre seconde question… »


Là, par contre, c’est tendax.

La vérité, je pense pas qu’elle soit bonne à dire. Pourtant, y a quelque chose, dans le regard d’Elea, qui m’interdit de trop mentir. Y a cet air, vous voyez… Difficile à dire. C’est pas parce qu’elle est toute mignonne et avec un air gracile que c’est une idiote. On devient pas lieutenant de marine sans savoir gérer une bande de flibustiers attardés. Tous les marins ont leurs histoires et leurs secrets, et ils sont parfois durs à contrôler.
Je pense que, si j’invente totalement un récit de nulle part, elle va le sentir. Et pas apprécier. Et comme elle a pas le temps de me faire répéter les détails, je serai bon pour être dégagé.

Alors, je soupire, et flirte avec la vérité.

« J’ai été viré. Avec les honneurs, comme vous voyez, mais viré quand même.
J’ai pas commis de crime. J’ai pas fait de mal à des innocents. Simplement, à un moment, ma section était coincée, on perdait des hommes, on était entre le marteau et l’enclume… J’ai fait ce que je pensais nécessaire pour sortir mes camarades de l’enfer. Sauf qu’après ils pouvaient plus me regarder en face. »


Honteux, je me mets à regarder mes pieds.
Et puis soudain, je change d’expression. Je deviens moins sûr de moi. Avec une voix un peu plus tremblante, et moins forte, aussi.

« ‘coutez, mon lieutenant, je… Je comprendrais que vous ayez pas confiance en moi. Je viens de nulle part, vous avez personne pour parler en mon nom à part un bout de papier… Mais je vous assure, si vous m’engagez, je serai loyal envers vous.
Mes secrets ils m’appartiennent. Vous devez avoir les vôtres, aussi, comme tout le monde à Misty. Ils font partie de nous-mêmes. Ce que je peux vous assurer, c’est que mes secrets vous mettent pas en danger, vous ni votre équipage. J’ignore si c’est suffisant, mais…
…Mais vous comprendrez que je ne vous donne pas tous les détails de ma vie. Faut me payer un brandy avant. »


Et je fais un petit sourire sardonique, avec ma deuxième blague.
Ludgar FitzEleanor
Messages : 22
Elea "Firestorm" Flint
Re: [Flashback] Hiérarchie [Elea, Ludgar] Lun 18 Avr - 16:01



Hiérarchie

Prouve ta valeur, garçon

La lueur dans le regard de Ludgar avait changé et elle ne savait pas si c'était juste un sourire ou de la moquerie. Elea plissa légèrement les yeux avant de reporter son attention sur la lettre. Il était plus patient que ce qu'elle aurait cru. Au moins il semble s'être un minimum détendu, malheureusement pour lui elle comptait bien passer aux questions. Elles étaient banales, la première surtout, mais elle avait appris que la réponse importait moins que la manière de répondre.

-Difficile d’être Harborien et pas naviguer, mon lieutenant.

Sarcastique le garçon mais ça lui plaisait. Obstiné, il était resté longtemps avec Hastings, et qui n'a pas la langue dans sa poche.

-Quand j’étais tout jeune j’étais pêcheur. Batelier aussi. Et puis en tant que mercenaire, on passait beaucoup de temps en transit sur un navire.
Je suis pas un matelot. Mais j’ai pas le mal de mer et je comprends qu’est-ce qu’il faut faire pour pas que le bateau s’effondre. Les détails, j’apprendrai vite. Si vous saviez le nombre de boulots que j’ai eu…


Du moment qu'il ne dégueulassait pas le pont de l'Arcana, elle ne lui en voudrait pas de manquer d'expérience maritime. Par contre, il n'était pas familier des cordes ou des manœuvres... C'était étonnant, pour un homme de Misty Harbor qui avait déjà pas mal vécu et accumulé les emplois, de ne pas vraiment avoir exercé sur une frégate ou tout autre bateau au long cours. Elle était curieuse de connaître le chemin mouvementé de Ludgar.

La deuxième réponse tardait à venir. Il devait y avoir une histoire derrière le "déchargé avec honneur", probablement peu reluisante pour qu'un homme comme lui ne s'en vante pas. Tout Harborien qui se respectait avait ses zones d'ombre mais elle ne pouvait pas se permettre d'engager un presque inconnu qui avait quitté une grande compagnie de mercenaires, même avec une lettre de recommandation, détail suffisamment rare pour être noté. Elea croisa les bras, un sourcil interrogateur levé.

-J’ai été viré. Avec les honneurs, comme vous voyez, mais viré quand même.
J’ai pas commis de crime. J’ai pas fait de mal à des innocents. Simplement, à un moment, ma section était coincée, on perdait des hommes, on était entre le marteau et l’enclume… J’ai fait ce que je pensais nécessaire pour sortir mes camarades de l’enfer. Sauf qu’après ils pouvaient plus me regarder en face.


Histoire crédible. Même si elle ne connaissait pas grand chose qui pouvait valoir de se faire ignorer par les hommes à qui on avait sauvé la vie, à part un crime. Mais l'attitude changée de Ludgar incitait à lui faire confiance. La lieutenant voyait bien que c'était un souvenir douloureux, qu'il n'en était pas fier, loin de là et contrairement à la masse de mercenaires de Misty. Si le sujet n'était pas aussi sérieux, elle aurait probablement ri de voir un grand gaillard agir comme un enfant pris en flagrant délit.

-…Mais vous comprendrez que je ne vous donne pas tous les détails de ma vie. Faut me payer un brandy avant.

Un gamin qui ne perdait pas le Nord quand même. La rouquine quitta son air impassible alors qu'un léger rire secouait ses épaules. Elle comprenait parfaitement. Les secrets et l'alcool.

-Contrairement à beaucoup, vous avez une lettre, aussi stupide un bout de papier soit-il.

Il n'y avait pas tant de risques que ça, la recommandation parlait pour lui, même si ce n'était qu'une jolie suite de phrases. Personne n'essaierait de prendre un tel document de force chez des mercenaires, à moins d'être foncièrement idiot. Et Ludgar avait été adjudant donc il avait un minimum de réflexion. Normalement.

-On verra plus tard pour le brandy. Qu'est-ce que vous savez faire ? Celui qui vient d'être viré était gabier mais je doute que ça vous corresponde.

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Elea
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Ludgar FitzEleanor
Re: [Flashback] Hiérarchie [Elea, Ludgar] Lun 18 Avr - 18:29

J’ai réussi à la faire rire. Pas aux éclats, mais c’est ça qui achève de me mettre en confiance. Je cesse d’être crispé et stoïque sur place, et retire même mes mains de mon immense peau de loup qui me tient beaucoup trop chaud en plein cagnard. C’est bien, l’humour Harborien marche.
L’humour Harborien, si vous saviez pas ce que c’était, c’est de lancer des blagues le plus sardoniquement possible — soit ça vous fait hurler de rire (Généralement si vous venez de chez nous), soit vous allez vite déchanter. Le nombre de fois où on m’a fait le coup de me prendre pour plus débile que je suis à cause de ça…

Du coup, maintenant, c’est le temps de filer mes compétences. Je serre un peu les crocs quand elle énonce le poste qu’elle prévoit pour moi : Gabier. C’est le métier de base de la marine, ça va faire vraiment bizarre que j’ai pas l’air enchanté par ça, alors que bah, un matelot qui sait pas faire gabier, on se demande qu’est-ce qu’il fout sur un putain de pont…
En plus, c’est même pas le métier en soi qui est dérangeant. C’est juste moi qui suis un peu flemmard. Mais bon, j’ai pas le vertige, alors en vrai, qui serais-je pour pas foutre mon cul sur une échelle de corde et m’occuper des voiles ?

Je réfléchis quand même aux compétences que j’ai qui seraient utiles pour un lieutenant de marine. Parce que j’en ai quand même.

« Je sais tirer au canon. Recharger à la culasse, pointer pour le tir, évaluer les distances, et entretenir la pièce — j’connais les procédures pour garder les munitions et la poudre, même à bord ; utile pour pas tout faire sauter, tout de même. Je pense que c’est le boulot dans lequel je suis le plus à l’aise.
Je sais faire des nœuds, un peu tous les genres. Je suis costaud, et ça c’est quand même un très bon point, j’ose penser, parmi l’équipage. Si vous voulez que je sois gabier, je risque d’être un peu lent au début, mais j’ai pas la tête épaisse — j’saurai m’adapter sans soucis. »


Je réfléchis un petit instant.

« Ah, je sais jouer de la flûte aussi. Des fois que vous vouliez entendre l’instrument le plus ridicule au monde. »

L’armée et la musique, c’est une histoire d’amour. On en a tout le temps, pour les parades, ou les cérémonies. Moi j’aurais adoré être trompettiste ou tambour, mais non, il fallait un flûtiste, on m’a filé une putain de flûte.
Le pire c’est que je joue vraiment trop bien de la flûte. C’est même pas pour me faire mousser. C’est juste que c’est le talent le plus inutile au monde.
Ludgar FitzEleanor
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Elea "Firestorm" Flint
Re: [Flashback] Hiérarchie [Elea, Ludgar] Mar 24 Mai - 17:30



Hiérarchie

Prouve ta valeur, garçon

Ah ! Il commençait enfin à se détendre ! Elea n'était pas des plus faciles à dérider (sauf l'humour harborien, ça marchait à tous les coups) mais lui avait été particulièrement peu à l'aise. Comme attendu, la perspective de grimper sur les cordes et les voiles n'enchantait pas l'ancien soldat. Elle a remarqué la légère crispation de sa mâchoire et elle retint un rire alors qu'il essayait de camoufler son dépit. Quand Elea était adolescente, gabier avait été un de ses postes favoris, même si à l'époque ses bras étaient un peu faibles pour ramener les voiles. Heureusement que c'était un travail d'équipe ! Mais elle avait adoré rester perchée des heures entières au bout d'une vergue, le vent dans les cheveux et le soleil réchauffant son visage, à observer le roulis de la mer et la ligne d'horizon lointaine. Quand elle avait l'occasion, c'était souvent là qu'on pouvait la trouver. Mais ce n'était pas un poste qui pouvait convenir à tout le monde.

-Je sais tirer au canon. Recharger à la culasse, pointer pour le tir, évaluer les distances, et entretenir la pièce — j’connais les procédures pour garder les munitions et la poudre, même à bord ; utile pour pas tout faire sauter, tout de même. Je pense que c’est le boulot dans lequel je suis le plus à l’aise.

C'était exactement ce que la lieutenant avait imaginé au départ, voir sa première impression se confirmer faisait toujours plaisir. Elle le laissa tout de même terminer la liste de ses compétences. Elle congédia d'un geste de la main les oreilles curieuses qui traînaient. Les marins étaient d'excellentes commères, surtout pour échapper à des tâches fastidieuses comme l'embarquement de marchandises et de vivres.

-Ah, je sais jouer de la flûte aussi. Des fois que vous vouliez entendre l’instrument le plus ridicule au monde.

Cette fois-ci, l'humour narquois de Ludgar acheva ses dernières résistances et Elea éclata d'un rire franc, qui fit tourner quelques têtes avant que les hommes ne se remettent à travailler.

-On compte déjà des musiciens à bord, on ne va pas demander de vous sacrifier. Vous serez donc artilleur. Vous verrez avec le capitaine pour signer le contrat et votre officier sera Silver.

Elle lui désigna du menton un homme grand occupé à compter les tonneaux de poudre, au chignon blond presque blanc sous le soleil qui lui valait son surnom. Il semblait trop délicat pour se métier mais les apparences sur un navire étaient toujours trompeuses. Finalement, elle lui tendit sa main.

-Bienvenue à bord, Ludgar.

*****

L'Arcana avait commencé son voyage vers Neidrag pour y faire la réserve de plantes médicinales et remèdes qui manquaient terriblement à Misty Harbor. Les rumeurs allaient bon train sur la nouvelle recrue et, malgré sa carrure impressionnante, Ludgar n'avait pas évité le traditionnel bizutage. Au départ, le maître-artilleur s'était retrouvé désemparé face à cet ex-mercenaire. La réponse de la lieutenant avait été sans appel : "Silver, il manquait un homme et lui t'as pas besoin de le former. Tu pourras t'en accommoder pour quelques voyages. Tu veux que je le mette où sinon, en fond de cale ?" Finalement, il s'y était habitué. Mais pas Hastings, qui prenait un malin plaisir à lui donner les tâches les plus ingrates (voire inutiles). La rousse observait le manège de l'officier avec un oeil amusé, alors qu'elle était chargée de la barre.


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Elea
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Ludgar FitzEleanor
Re: [Flashback] Hiérarchie [Elea, Ludgar] Jeu 26 Mai - 1:33

Après avoir vigoureusement serré la main du lieutenant, et lui avoir juré que je ne manquerai pas à mon devoir, tout le reste de la procédure s’enchaîne assez vite. On m’indique le pont sur lequel je dois me rendre ; je poireaute un bon moment au garde-à-vous avec mon paquetage, au moins vingt minutes, le temps que le capitaine débarque tout en discutant avec un de ses officiers. En voyant débarquer ce grand bonhomme chapeauté, je claque les talons de mes bottes et lève le menton, en faisant un « Monsieur ! ». Morgan Flint me regarde des pieds à la tête d’un œil torve, et il soupire avant de me faire entrer.
Y sort de la paperasse, me fait répéter mon nom, prénom, consulte le papier du Héron Bleu, fait une remarque sur ma médaille — rien que monsieur Hastings m’ait pas déjà fait, et de toute façon, il n’en a plus eu à faire à la seconde où je lui ai dit que le lieutenant Flint m’avait fait monter. Le contrat, en soit, a rien de bien compliqué — je deviens journalier pour la prochaine durée du voyage, et y a des trucs standards sur la paye, l’assurance et la discipline à bord. Par contre il faut que je jure sur mon honneur, ce qui est un capital immensément important pour des habitants de Misty Harbor. Je griffonne ma signature, le capitaine me tape dans la main, et il me laisse entre les mains du bosco qui me fait sortir ; j’ai pas à occuper la chambre du capitaine plus longtemps que de raison.

Sur une table dehors, le mec me fait ouvrir mon paquetage pour vérifier ce que j’ai dans mes affaires. Il note rapidement sur un calepin, s’assure que j’ai le nécessaire pour vivre à bord — autrement, il faudra qu’il m’en vende et ça sera retenu sur ma solde. Il est ravi que j’ai mon propre hamac, de même que des couverts et un rasoir — il me propose quand même de nouveaux lacets pour mes godasses, une écuelle neuve, et il m’offre de graver mon nom sur un bout de bois que je peux porter à une cordelette.

« Des fois que tu te noies et qu’on te repêche. Faut ben que la Sirène te retrouve, mon gars. »

Il est également intéressé par mes armes. Il trouve un revolver, dont il ouvre le barillet pour voir s’il était chargé, et ricane :

« Cinq au lieu de six. T’es un petit malin.
– Habitude de soldat. »

On met cinq balles dans un barillet qui peut en contenir six, parce que sinon le chien du flingue se repose sur la balle — et y suffit d’un petit coup dessus pour que ça parte, et vous vous retrouvez avec un trou dans le pied.

« Pas contre toi, soldat, mais on te connaît pas, donc on va placer la pétoire sous clé, dans l’armoire du capitaine.
– Je comprends. »

Il hoche de la tête et range mon flingue sous sa ceinture. Ensuite, il est intéressé par le fourreau de mon sabre. Il dégaine la lame, découvre l’acier, et sifflote d’admiration.

« D’où tu sors une lame comme ça ?

– C’est le cadeau de quelqu’un.
– Drôle de goût ce quelqu’un.
– Vous êtes obligé de me le prendre ?
– Hmm… J’peux faire une exception, pour un cadeau. Tu peux le garder, mais seulement tant que tu le portes pas à ta ceinture.
Si tu voulais vraiment t’en prendre à un des officiers… Bah… Hé, je parierais pas forcément sur toi. »


Y me fait un grand sourire qui affiche ses dents en or — il en a perdu certaines dans des bagarres.
Je ferme mon sabre Telmar, et le replace dans mon paquetage.

« C’est bon, t’es autorisé à résider à bord. T’es le problème de Silver maintenant. »

Je claque des talons. Il ricane. Je ne sais pas ce qu’il y a de drôle, il ne me l’explique pas.

Après quoi, j’ai rendez-vous sur le pont-batterie. Je traverse tout le pont principal, où les matelots achèvent leur travail de fourmis ; on est seulement à quai, on est pas en train de voyager, et pourtant, je commence à sentir le roulis de l’eau en dessous de mes pieds — ne pas arrêter d’embarquer et rembarquer fait que mes cuisses ont du mal à s’adapter entre la terre et la mer, mais pour l’instant, ça me fait juste grogner. Je vais trouver un escalier étroit, et je descends dans son obscurité pour me retrouver en bas d’un étage.

Le pont-batterie est sombre, la lumière provint seulement de quelques sabords ouverts — ce n’est pas tellement le genre d’endroit où on a envie qu’il y ait des chandelles et des torches, pour une raison évidente ; le coupable, on le sent. Ça pue ici, ça pue la cordite, une odeur difficile à décrire ; ça prend au nez, et c’est un peu « sucré ». J’avais oublié à quel point j’adore cette odeur, et je ferme un peu les yeux pour mieux ressentir les arômes alors que je m’avance sur le pont.

Je le fais pas longtemps, pour pas passer pour un complet taré. Il y a un petit groupe de matelots en train de discuter. Silver, le monsieur que le lieutenant Flint m’a désigné, est assis sur la bouche d’un canon, bras croisés. Grand mais tout fin, beau garçon alors qu’il était mal habillé avec sa grande chemise, il me lança un long regard alors que les matelots autour de lui commençaient à se taire et à me fixer.
Je claque des talons, une troisième fois, et m’adresse d’un ton sec :

« Monsieur — Ludgar, votre nouvel artilleur, à vos ordres monsieur. »

Il grimace, alors que les matelots à ses côtés se mettent à rire ; un regard de la part du maître-artilleur suffit à les faire se taire, et voilà que les deux font mine d’avoir les instruments d’un canon à aller vérifier.
Toujours assis, le maître-artilleur me fait un signe de la tête.

« Je sais pas qui c’est, monsieur. Moi c’est Silver.
– Oui monsieur. »

Il lève les sourcils et expire de l’air — je crois qu’il a failli sortir un « Oh putain ». C’est pas ma faute, c’est l’habitude.

« Tu dormiras dans ce coin, avec ton hamac. On bosse en trinôme, tu compléteras ces deux-là pour le prochain voyage ; Gareth, et Adda. »

Les deux matelots lèvent la main quand on énonce leurs noms. Le premier, c’est un petit homme également tout mince, assez jeune, avec de longs cheveux noirs noués dans une queue de cheval ; on voit un grand tatouage de chat noir dans son cou. La seconde, c’est une femme un peu plus grande que son comparse, avec un gros nez de boxeuse au milieu du visage, des cheveux blonds coupés court, et une silhouette large, avec notamment des épaules étendues.
Ils sont tellement opposés physiquement, on dirait des rôles de théâtre.

« On m’a dit qu’on avait pas besoin de te former, j’espère que c’est pas un mensonge…
– Non, mons- Silver.
– Durant la totalité de ton service, t’es consigné ici. Hors des heures d’astreinte, par contre, t’es obligé d’être sur le pont. Tu me récites les règles à bord ?
– Pas courir, pas chahuter, pas blasphémer.
– Mais c’est parfait ! Comme quoi on fait bien d’engager des anciens ! »

Je fronce les sourcils. Silver ricane.

« C’est moi ton patron, à l’exception de si un officier te réclame ou réclame tout le monde sur le pont.
Tu fais ton job, tu bois et tu manges ce qu’on te file, et tout se passera bien. T’as l’air d’être un costaud, la vie en mer devrait pas être un souci, et c’est ce que tu devais chercher…
Je suis indulgent, mais ça veut pas dire laxiste — je suis responsable de toi, alors fait pas en sorte que je me fasse taper sur les doigts. Je vais pas te faire de plus long discours que ça, je pense t’as passé l’âge. Ça te va ?

– C’est parfait.
– Alors installe-toi. L’Arcana part bientôt et on va payer nos hommages à la Sirène. »

Je claque des talons. Silver se balance hors de sa bouche et me laisse seul avec les deux matelots. Je tourne à 180° et m’approche du coin désigné, Soigneusement, j’ouvre mon paquetage, et je commence à installer mon hamac entre deux poteaux.
Dans mon dos, j’entends chuchoter. Je me retourne pas, j’ai pas besoin — je suis pas complètement demeuré, non plus. Gareth et Adda, mes nouveaux collègues, sont en train de se foutre de ma gueule. Mais comme je fais presque deux mètres et que je suis construit comme un tonneau, je ne pense pas qu’il soit très malin de leur part de me transformer en bizut ; faudrait s’y mettre à plusieurs.

Je les ignore donc royalement, mais lorsque j’en ai terminé et que je me relève, en me retournant, je les aperçois en train de me fixer avec deux immenses sourires, comme deux farfadets qui se préparent à me faire une farce.

« Quoi ? »


Adda gonfle les joues et fait de grands yeux.

« C’est une façon de parler à son chef de pièce, ça, matelot ?!
Au garde-à-vous, je t’en prie ! »


Ils ont les lèvres qui tremblotent. Je gonfle le buste et claque des talons.
Gareth se pince le nez en pouffant dans la gorge.

C’est hilarant, vraiment. Je suis pas du tout en train de faire ma grande tête froide et impassible. Mais je dois mal faire un truc parce qu’ils ont vraiment l’air de lutter pour pas éclater de rire. Adda souffle pour se calmer, avant de balbutier autre chose :

« Bien, heu… T’as entendu Silver, matelot ! Sur le pont, genre, au rapport ! »

Je hoche de la tête, et me dirige vers l’escalier pour retourner à la surface.

Je comprends toujours pas ce qu’il y a de drôle.



Morgan Flint et le reste de l’Arcana se réunit devant la proue. C’est superstitieux, un marin — c’est difficile de penser quitter un port sans offrir son dû à la Sirène, pour qu’elle nous envoie des signes pour nous guider. Alors, le capitaine, tout debout, récite quelques prières, et offre un verre de brandy qu’il déverse par-dessus bord. On entend pas une mouche voler parmi l’équipage ; même moi, je sens mon ventre un peu se nouer. On plaisante pas avec les Dieux. L’océan, c’est un autre monde, c’est là où on est livrés à nous-mêmes, y a peu de chance qu’on vienne nous aider quand on vogue au milieu de nulle part, et il y a tellement de dangers là-dehors — la mer est peuplée d’hybrides, tout comme le ciel. Et les navires qu’on croise ne sont pas forcément respectueux de l’honneur de la mer, ou tout du moins, celui-ci n’engage que ceux qui veulent bien y croire…

Alors on se tait, et on écoute. Et quand la messe est dite, les officiers hèlent leurs équipages, et on doit tous se mettre au travail.




Deux jours sont passés. Je ne dirais pas « bien ». Mais pas mal non plus. Je m’y attendais au boulot, et, bah, j’ai pas menti, et on est pas tombés sur un pépin donc en fait pour l’heure c’est juste de l’habitude. Je dors sur le hamac, je me lève, un gars distribue le café, le rhum, et le biscuit — puis Silver vérifie bien que, par trinômes, on s’occupe bien de la batterie. Faut vérifier les culasses, vérifier la poudre, vérifier les projectiles, décrasser les bouches, décrasser le pont… Pendant qu’on bosse, personne fait le con — notre chef est sympa, mais visiblement, tout le monde à bord a l’air de suffisamment le respecter pour pas bâcler le travail, même en son absence. Gareth et Adda, durant ces heures, me disent juste quoi faire, ils passent derrière moi, ma « chef de pièce » m’engueule quand même de temps à autre, parce que ça remonte à loin tout de même, ma formation d’artilleur… Mais j’obéis et je fais mieux, c’est pas un problème.

C’est hors des heures d’astreinte, que les choses deviennent bizarres. Généralement je vais sur le pont, fumer un peu de tabac de ma pipe, et contempler l’océan. C’est toujours sympa le pont, parce que comme le lieutenant Flint l’avait dit, il y a des gens qui jouent de la musique. Quelques personnes jouent aux cartes, mais je me suis pas trop approché pour l’instant — je commence à avoir le mal de mer. Et puis, bizarrement, j’ai jamais une minute pour souffler.
Ce qui se passe, c’est que, je suis là, à discuter avec Adda et Gareth, normalement quoi, on fait connaissance… Et il y a le quartier-maître Hastings qui se ramène, avec un air sévère et sérieux. Devant lui, je claque des talons et lève le menton, et il trouve un ordre pour moi, du style, y manque quelqu’un à l’endroit ci, va leur amener ça. Alors je lui sors un « oui monsieur », et je vais le faire, parce que, bah… C’est un officier, il faut bien le faire. Donc j’obéis à l’ordre, et je vais retourner tranquillement mater la mer, mais Hastings revient, d’on-ne-sait-où, et m’envoie faire autre chose.

Et ça a duré toute la soirée d’avant-hier, et toute la journée d’hier. Et bizarrement, les ordres deviennent de plus en plus… Je sais pas comment dire ? Il me fait envoyer d’un côté à l’autre du bateau, de plus en plus loin, souvent pour pousser un tonneau, ou ramener de la vaisselle, ou un autre truc du genre ; c’est pas tant difficile que c’est répétitif, et étrangement, j’ai l’impression d’être le seul à être tout le temps essoufflé à force de courir d’un coin à l’autre du vaisseau.

Et ce matin, ça recommence. Je suis là, alors que Gareth me pose plein de questions sur Tel-Makhtesh (Visiblement mon sabre-cadeau ça a fait tout le tour du bateau), quand j’entends des bruits de pas faire craquer le bois derrière moi. Je me retourne, et je vois Hastings qui me hèle :

« Matelot Ludgar.
– Monsieur ! »

Je claque des talons. Mes deux collègues rentrent leurs lèvres et gonflent leurs joues.

« Le pavillon du navire est un peu déchiré, ça fait très mauvais genre. Allez chercher un pavillon neuf dans la cabine du capitaine, et remettez-le en place. »

Mon petit cœur bat la chamade. On me fait assez confiance pour porter le drapeau de l’Arcana ?

« Ce serait un honneur, monsieur !
– Au boulot, matelot. »


D’un pas rapide, je vais vers le château de poupe. Je grimpe les escaliers qui mènent au poste de commandement, à la barre, aux cabines. Une fois perché tout en haut, je vais vers là où j’ai signé mon contrat, quand je tombe nez-à-nez avec le bosco, qui me regarde avec l’un des regards les plus sidérés que j’ai jamais vu de toute ma vie : il a des yeux ouverts comme des soucoupes, et il est un peu bouche-bée.
Et c’est d’un ton peu assuré, tout doucement, qu’il me demande :

« Je peux savoir ce que tu fous ici ? »

Juste au-dessus, y a les officiers qui me regardent.

Je sais pas pourquoi, mais j’ai l’impression d’avoir fait une connerie. Mais dans l’armée, quand on reçoit un ordre, on a un ordre, avec une certitude complète, je répète fièrement :

« On m’a donné l’ordre de changer le pavillon du navire, monsieur ! »

Le bosco est devenu blanc. Puis rouge. Il est passé d’une couleur à l’autre comme un caméléon, et je peux jurer que j’ai vu un de ses sourcils se mettre à trembler nerveusement. Puis il a mis une main au fouet à sa ceinture.
Et il s’est mis à gueuler comme un goret.

« MAIS TU T’ES CRU DRÔLE À JOUER À L’ABRUTI COMME ÇA ?! DIS-MOI QUE T’AS ÉTÉ BERCÉ TROP PRÈS DU MUR ! DESCENDS ! DESCENDS DE LÀ TOUT DE SUITE ! »

Paniqué, je claque des talons, et descends les marches illico, alors que j’entends encore le bosco se mettre à hurler derrière moi, et à se retenir très fort de pas lancer des jurons qui feraient pas plaisir aux oreilles des Dieux.

En retournant sur le pont, un tas de matelots qui m’ont regardé grimper sont en train de rire comme pas permis. Et le quartier-maître Hastings, d’ordinaire si sérieux et impassible, est en train de sourire avec eux. En me voyant approcher, et filer droit, il parvient à avoir l’air sévère, et mine de rien, il s’approche en sifflant très fort :

« Matelot ! »

Je le dépasse bien vite. Il s’est foutu de ma gueule bien assez longtemps.

« Hé, matelot ! »

Je crache un gros molard sur le pont. Je me retourne et lui fait un signe de tête. Et alors que tout le monde continue de se marrer et de se foutre de ma gueule, je raille quelque chose, aussi rauque que possible :

« Me chauffez pas trop quand même, quartier-maître. À moins que vous ne sachiez nager. »

Hastings lève les deux sourcils. Les matelots cessent de se marrer, mais pas de sourire ; simplement, leurs grimaces ont pris une autre allure. Plus carnassière.

« Attends, attend, attend, mon garçon », qu’il fait en répétant ce prédicat bien condescendant, celui qu’il utilise depuis qu’il m’a vu réclamer un job. « Parle plus clairement… Tu sous-entends quoi ?
– Que je vais balancer votre cul par le franc-bord. Monsieur. »

Les matelots à ses côtés s’écartent.

Alors, Hastings commence à marcher lentement. D’un pas félin. Il pose ses mains à la boucle de sa ceinture, la défait, et, lentement, il l’enroule autour de son poing.

Je soupire. J’ai vraiment passé l’âge de faire ça.

Je fais craquer mes phalanges, alors que je tourne dans le sens inverse de ses pas.
Ludgar FitzEleanor
Messages : 22
Elea "Firestorm" Flint
Re: [Flashback] Hiérarchie [Elea, Ludgar] Jeu 26 Mai - 13:48



Hiérarchie

Prouve ta valeur, garçon

Les départs n'avaient jamais rien d'extraordinaire, après autant d'années à les voir défiler. Elea aimait ces cérémonies et ces superstitions, qu'elle partageait avec tout l'équipage. Un Harborien qui ne priait pas la Sirène avant de partir ne méritait pas de revenir. Et la bouteille de brandy ouverte était ensuite terminée par les marins. Rien ne se perd, tout se boit. Elle avait essayé de soudoyer le nouveau marin avec le fond de la bouteille mais il n'avait pas assez étanché sa curiosité, ne lui donnant que quelques éléments sur son histoire. Il était rusé et tenait un peu trop bien mais l'obstination de la rousse ne se laissait pas impressionner.

Il n'y avait rien à signaler les premiers jours. Ludgar s'habituait à l'équipage et réciproquement, même si certains membres appréciaient de le taquiner. La jeune femme avait bien remarqué le manège d'Adda et Gareth, les manies de Hastings, les soupirs moqueurs de Silver et des autres. Rien de bien extraordinaire, le lot de toute nouvelle recrue. Mais, alors qu'elle était au gouvernail et devait garder un oeil sur le cap, l'ordre du quartier-maître était parvenu à ses oreilles. Fin de la partie.  

-Le pavillon du navire est un peu déchiré, ça fait très mauvais genre. Allez chercher un pavillon neuf dans la cabine du capitaine, et remettez-le en place.

Les petits jeux avaient assez duré, ils n'étaient plus innocents et les esprits s'échauffaient. Elle n'avait pas eu le temps de s'interposer avant que Ludgar ne disparaisse dans les cabines de la poupe. Elle gratifia Hastings d'une moue appuyée et ennuyée.

-On plaisante lieutenant, ça va, se défendit ce dernier.
-Tout le monde ici sait qu'affronter Connor n'est plus un jeu.

Si le bosco pouvait être d'une compagnie relativement agréable en temps normal, le non-sens et l'indiscipline, même involontaires, le mettaient dans une rage folle. Et il n'était pas maître d'équipage pour rien, ce n'était pas un poste connu pour sa douceur et sa diplomatie. Surtout pas cet immense individu aux bras couverts de tatouages et de cicatrices. Ses cris contre le bizut malgré lui rebondissent contre les planches de bois et étouffent les rires idiots des matelots. Au crachat de Ludgar, les sourires amusés ou moqueurs se transformèrent en affreuses grimaces. Certains serraient les poings, d'autres posaient la main sur leur couteau.

-Me chauffez pas trop quand même, quartier-maître. À moins que vous ne sachiez nager.

Elea claqua des doigts et un mousse vint docilement la remplacer à la barre. Un cercle se forma autour des deux titans, s'attendant à un combat prometteur.

-Attends, attend, attend, mon garçon. Parle plus clairement… Tu sous-entends quoi ?
-Que je vais balancer votre cul par le franc-bord. Monsieur.

Si l'équipage et même les officiers n'étaient pas autorisés à garder leurs armes à feu, ce n'était pas le cas de Flint père et fille. Son âge et sa taille ne l'empêcha pas de d'écarter la foule à coups d'épaule et de se camper au centre de l'affrontement, les jambes et le dos bien droits, pointant le canon de ses pistolets sur le front des belligérants. Ses iris étaient noirs comme le charbon, promettant un orage dont ils allaient se rappeler.

-La seule personne qui balance vos carcasses puantes à la flotte, c'est moi, asséna-t-elle froidement. Vous arrêtez vos stupides provocations de mâle alpha ou je vous fait couper la queue pour vous calmer.  

Elle promena son regard sur l'assemblée pétrifiée de marins. Même le bosco, son fouet pendant piteusement dans ses mains, n'osait pas respirer.

-C'est valable pour vous tous. Le prochain qui se croit drôle avec ses ordres à la con, je le plante personnellement. Maintenant dégagez du pont et occupez vos crânes vides, peut-être que vous pourrez en tirer quelque chose.

Et personne n'avait envie de passer sous la lame ou le canon de la lieutenant. L'équipage s'éparpilla rapidement, seuls ceux à la barre ou sur le mât de misaine laissèrent leurs oreilles traîner. Son visage se tourna à nouveau vers Hastings et Ludgar, leur ordonnant de se mettre à genoux et les toisant. Si ses yeux pouvaient lancer des éclairs, ils seraient déjà foudroyés.

-Dois-je vraiment vous rappeler que les règlements de comptes sont interdits à Bord ? Surtout toi, Hastings, tu me déçois. Et il me semblait qu'en temps qu'ancien adjudant, tu savais réfléchir, Ludgar.

Elea rangea ses armes à sa ceinture et croisa les bras sous sa poitrine. Ses mèches rouges semblaient être des flammes, chauffées par le soleil et flottant dans la brise marine.

-Pour les trois prochains jours, vous serez assignés au nettoyage des ponts intérieurs, déclara-t-elle avec un rictus mauvais. S'il y a besoin de mains aux voiles, vous irez tous les deux au mât d'artimon, première vergue à droite. Les officiers seront prévenus.

Il fallait aller vite pour supporter les odeurs nauséabondes qui pouvaient émaner des déchets de cuisine et des sanitaires, la coopération serait donc obligatoire. De même pour les voiles, une dispute entraînait un retard et les manoeuvres étaient impossibles.

-Je récupère aussi vos lames et vos ceintures, pas de morts sur l'Arcana. Les corvées prennent effet immédiatement.

Les deux hommes étaient relégués au simple rang de mousse. Elle dépassa finalement leur niveau pour se diriger vers la cabine du capitaine, pour le tenir au courant et prévenir les officiers.

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Elea
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Ludgar FitzEleanor
Re: [Flashback] Hiérarchie [Elea, Ludgar] Jeu 26 Mai - 15:09

La cervelle humaine est pas tout à fait faite pour passer directement d’un instant de paix, à un instant de violence. Faut qu’un tas de choses montent à la tête avant, plus-ou-moins vivement, selon son entraînement ; faut constituer un tas d’adrénaline, puiser dans ce qu’on a, avant de se jeter. C’est le jeu auquel on joue, moi et Hastings, alors qu’on tourne nonchalamment en cercle l’un en face de l’autre.

Le matelot m’a pas l’air difficile à foutre à terre. Trop fin, trop petit, trop vieux. Mais il a l’air hyper confiant. Il compte probablement sur le fait que je sois une grosse bidasse écervelée pour me faire un coup bas, probablement me taper dans les reins — j’essaye de deviner, de bluffer, comme aux cartes, et je sais qu’il me fait exactement la même chose.

Et c’est au moment que je ferme mes poings, que le lieutenant Flint débarque avec ses flingues, forçant mon sang bouillant à rester dans mon corps, et pas trouver d’échappatoire — la frustration empoisonne mes membres, et je peux sentir mon cœur pulser dans mes oreilles et les artères de mon cou.



Là où dix ans à Tel-Makhtesh ont bien servi à me rendre hargneux, l’Artefact que je porte autour de mon cou m’achève. Je regarde directement dans la gueule du pistolet qu’on me pointe trop près de moi, et j’ai même pas peur. C’est pas une preuve de bravoure, c’est plutôt une preuve de stupidité ; mais je suis là, planté comme une statue, la lèvre retroussée, mon corps toujours figé sur place et prêt à subir un coup dans la seconde. Je suis un chien fou. Quasi littéralement, en fait.

Si un flingue suffit pas à me terrifier, la discipline militaire gravée dans mon esprit m’empêche d’agir. Lentement, je finis par céder, et si je garde toujours la même tête de salopard, je finis bien par ouvrir mes mains et étendre légèrement mes bras, pour signifier que je ne montrerai pas d’hostilité. Hastings, en face de moi, prend la chose avec plus de philosophie — il lève les yeux au ciel, comme si les reproches du lieutenant coulaient sur lui telle la pluie sur un imper, et il retire la ceinture qu’il a intelligemment enroulée autour de son bras.

« Reçu, mon lieutenant, je chuchote dans un grognement.
– À vos ordres, il fait d’un ton guilleret. »

Elle nous dépasse. Le bosco garde toujours la main à son fouet ; à présent qu’Elea Flint a donné ses instructions, celui-ci a toute l’autorité d’appliquer la sanction — c’est beau la hiérarchie, pas vrai ? Il a pas l’air d’en tirer la moindre satisfaction, parce que c’est sans sourire, sans pérorer, sans insulte, qu’il m’indique juste froidement :

« Va chercher ton paquetage, et remonte. »

Mais moi et Hastings on est tous les deux fixes, et on continue de se regarder, droit l’un vers l’autre. Moi avec un air menaçant, pour l’intimider. Lui avec un sourire, pour me provoquer.

« Matelot. »

Le bosco n’a aucune envie de se répéter. Je détourne enfin le regard, et m’approche de l’escalier pour descendre en batterie.

Adda et Gareth lèvent le nez. Ils chuchotent entre eux, mais bizarrement, ils ont plus envie de rigoler ou de faire leurs têtes de farfadets. Soigneusement, je défais mon hamac, prend mes effets personnels, attrape mon sabre et son fourreau, et referme le reste du paquetage.

Dans mon dos, Silver s’approche, et me parle à voix basse :

« J’ai besoin de toi dans trois jours. Fait rien. »

Je le regarde tout droit. Lève un sourcil.

« De quoi vous parlez ?
– Je suis pas idiot, et toi non plus, même si tu fais comme si tu l’étais. La fierté c’est un truc pour la terre, pas pour la mer.
Trois jours, ça passe vite.

– Allez dire ça à votre collègue, Silver. »

Le blondinet sourit — mais pas d’un sourire moqueur, pas comme tous les matelots de l’Arcana depuis que je suis monté à bord. C’est un joli sourire, amusé, et doux.

« Il va le ruminer autant que toi. Et après ? Dans trois jours plus personne en parlera, ou juste pour se marrer.
Là t’as juste mal à ton ego, c’est mieux qu’avoir mal à l’ego et à la gueule, nan ? »


Je pouffe de rire. Paquetage sous le bras, je m’apprête à remonter.
Mais je m’arrête, et lui chuchote juste avec un air moqueur :

« Je pense qu’il aurait eu plus mal que moi, quand même. »

Ma plaisanterie fait rire Silver, mais il hoche la tête négativement.

« Dans trois jours tu reviens ici. Ouais ?
– Aye. »

Il me fait une tape franche sur l’épaule, qui, étonnamment, me fait du bien au cœur.



Je remonte sur le pont. Je tends le fourreau de mon sabre au bosco. Étonnamment, le maître d’équipage le prend du bout des doigts, et il l’observe un long moment d’un œil inquisiteur. Ça me fait mal au cœur de laisser l’épée entre ses mains, mais il hoche de la tête en signe d’approbation.
Puis, il passe devant moi, et je le suis. Et c’est comme ça qu’on se retrouve à descendre vers la cale.

Hastings me rejoint peu longtemps après. Il nous laisse installer nos hamacs au même endroit, puis il répète les instructions du lieutenant Flint d’un air professionnel, en nous faisant répéter à voix haute qu’on se tiendra tranquille et en nous filant nos prochains horaires. Enfin, il nous quitte et nous laisse tous les deux, seuls.

La tension est encore là. On se regarde à nouveau en croix. Mais qu’est-ce qu’on a vraiment à se dire ? Ni lui ni moi n’avons envie d’être le premier à briser ce silence, l’escalade serait trop facile, tout de suite. Alors, il se contente de me dépasser et de s’affaler dans son hamac, au-dessus du sol. Moi, j’attrape un balai qui traîne, et je me saisis du premier service.
Ludgar FitzEleanor
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[Flashback] Hiérarchie [Elea, Ludgar]
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