Je te demande pardon ?
C'était la fin du mois d'Abril 1635. Falaise était un point d'attache régulier, presque autant que Misty Harbor, quand l'
Arcana revenait de ses péripéties dans les îlots inconnus et déserts. Ils étaient d'abord allés ver l'Ouest, avant de remonter, un peu avant Tel Makhtesh. Sur les côtes, une caravane les avait aperçus de loin. L'équipage avait bien évidemment vu le convoi aussi, bien avant lui, grâce aux yeux avisés de la vigie. Elea ne savait plus exactement ce qu'ils avaient vendu aux Telmaris, elle avait bien été en charge des négociations mais l'accord avait été conclu par Sir Flint en personne. Par contre, elle savait ce dont les cales étaient chargées, elle avait elle-même examiner la marchandise. Des sacs d'épices qui parfumaient le bois, des tissus multicolores, des oeuvres de verre soufflé et chatoyant qui feraient fureur.
Le rivage de Falaise ne rivalisait pas avec celui de Misty Harbor. Il n'y avait même pas de port pour s'amarrer tranquillement ! En arrivant dans la baie proche de la cité perchée, la lieutenant se souvint que Corail était également dans les parages. Deux fois plus d'opportunités commerciales. Croiserait-elle Darienn à nouveau ? Le valeureux postier lui avait dit qu'il devait rejoindre Falaise au plus vite pour justement voire sa famille sur la Tortue. Eventuellement au détour d'une soirée arrosée dans une auberge quelconque, occupé à enjôler une jeune fille bien naïve un homme peu farouche. Il fallait qu'elle rivalise avec lui, pensa-t-elle avec un sourire en coin. Pour l'heure, il s'agissait d'accoster. Son père sur le pont, à la poupe du navire, à l'entrée de sa cabine, et elle à la proue, du côté de l'ancre. Le vent s'entremêlait dans ses cheveux, les transformant en flammes folles. Heureusement, les voiles avaient déà été rabattues, le navire n'avançait presque plus. Il restait une dernière étape, pour ne pas dériver. Le bras du capitaine s'abattit et Elea poussa un cri. A son signal de départ, les matelots commencèrent à tourner autour du cabestan, permettant à la chaîne de s'étirer. Le grincement métallique résonna jusqu'à ce que l'ancre touche le fond. Tous les mouvements s'arrêtèrent alors que la jeune femme abaissa son bras, cette fois-ci. Tant les cordes et les maillons étaient lourds, la manœuvre avait duré une bonne demi-heure. Mais les efforts n'étaient pas terminés.
Une moitié de l'équipage avait le droit de descendre à terre à chaque fois, alternant chaque jour jusqu'au départ. Et encore, seulement l'après-midi, il fallait bien s'occuper du navire le matin, bien qu'elles aient déjà été faites à ce moment-là. Elea faisait partie de ceux pouvant descendre, aussi elle participa à mettre une chaloupe à la mer, avant de sauter dedans avec le reste des matelots. Quand elle avait l'occasion de quitter le pont, elle enfilait son plus bel uniforme de lieutenant pirate. Un long manteau blanc et doré ainsi qu'un tricorne avec une belle plume bleu marine tirant vers le violet, rappelant son corset, lui-même agrémenté d'un foulard bordeaux et d'une lourde ceinture d'où pendait dague et pistolets ouvragés. Son pantalon rayé de gris et de blanc était enfoncé dans de très hautes bottes noires dont les talons, étonnamment, ne l'empêchaient pas de marcher dans le sable. Ses bras étaient enserrés dans des gants de la même couleur que son foulard. Elle s'étira comme un chat alors qu'une voix l'interpellait :
-Vos poulies et vos ferrailles n’ont pas l’air d’être en bon état ? Vous voulez que je vous les remplace ?Qui osait critiquer son magnifique bateau, sa maison ? Son regard gris se voila légèrement, s'approchant de l'inconnue qui n'avait décidément pas les manières d'une Harborienne. Elle n'en restait pas moins surprenante, c'est peut-être ce qui arrêta Elea dans son élan sauvage de l'incendier. Malgré sa carrure impressionnante -elle faisait bien une tête de plus que la pirate malgré ses talons-, elle restait féminine avec son chemisier et sa longue jupe bleu foncé. Sans ses bras musclés et ses mains d'artisane, Elea ne l'aurait pas prise au sérieux. Elle fit signe à ses hommes que tout allait bien et que les volontaires pouvaient continuer leur route, la laissant seule avec la Falaisienne. La rousse croisa les bras, haussant un sourcil interrogateur :
-Et qui êtes-vous pour vous permettre de critiquer mon navire ?Bon, pas tout à fait le sien mais les subtilités seraient présentées plus tard. Son ton n'était pas spécialement agressif -on lui avait fait promettre de ne pas déclencher de bataille tout de suite- mais l'inconnue avait tout intérêt à trouver une bonne excuse.